Les cracks boursiers se suivent et ne se ressemblent pas : ni par leur nature, ni par leur intensité, ni par les leçons que l’on peut en tirer (si on le veut bien).
On se souvient à peine, tous tentés par l’oubli, du monstrueux crack planétaire de 2008, mettant sur la paille emprunteurs et spéculateurs, banques et assureurs. Heureusement, disent les optimistes, les banques dites « systémiques » ont été sauvées. Et un tantinet rappelées à l’ordre… enfin, jusqu’à la prochaine fois. Mais essayons de se rappeler quand, il y a quinze ans précisément, éclatait une protubérance financière incontrôlée, portée par son addiction au NASDAQ. Le NASDAQ, qui s’affiche en pleine vitrine commerciale de Times Square, au coeur de New York, est devenu en quelques décennies le plus grand secteur boursier high tech. On peut à l’époque y gagner gros, très gros, très vite ! Au New York Stock Exchange de Wall Street les valeurs traditionnelles, au NASDAQ de Times Square les innovantes.
C’est qu’auparavant, entre 1995 et 2000, Internet et le « online » étaient devenus des mots en or. Midas des temps modernes, des bataillons d’analystes et de traders, relayés par des medias condescendants et aveuglés, chauffaient à blanc un public d’investisseurs en tout genre, sur tous les continents. Jusqu’au craquement, lorsque ce nouveau Titanic financier, lancé à pleine vitesse, heurta l’iceberg de la réalité ! Car c’est ainsi : régulièrement, l’économie financière doit affronter sa soeur jumelle, l’économie réelle. Aux frasques boursières de l’une s’oppose l’austère réalité comptable de l’autre ! Bien sûr à condition que bilans et comptes de résultat ne soient pas truqués…façon Enron. Comment imaginer cette Bulle Internet, version 2000 ? Un graphique vaut mieux qu’un long discours…
En haut lieu, le grand manitou du dollar américain, Alan Greenspan, avait évoqué, non sans malice, l' »exubérance irrationnelle » autour d’Internet. Au chevet du fiévreux Nasdaq, des lanceurs d’alerte essayaient tant bien que mal de se faire entendre. Leur message : empochez vite vos e-profits ! C’était globalement peine perdue, à cause de la pression du court-terme, d’un sentiment général d’argent facile à gagner. Une totale perte d’esprit critique ! A l’époque le monde entier vivait la crise d’adolescence d’Internet. Cet enfant terrible de la technologie devenu la dernière frontière de tous les financiers. A l’époque personne ne savait vraiment comment distinguer le bon grain de l’ivraie, tant la flambée des cours pouvait s’avérer…ennivrante ! Manque d’expérience et de recul sectoriel allaient profiter à quelques petits malins, les margoulins de la manipulation du marché.
Les analystes étaient devenus aussi insouciants que les gestionnaires se montraient affamés et impatients. Business is business. La poule aux oeufs d’or, incarnée par ce secteur d’Internet aux contours incertains, présentait des valorisations délirantes et non soutenables. Ainsi certaines entreprises pouvaient voir leurs cours en bourse multipliés par 4 alors que leur entreprise n’enregistrait qu’une croissance du chiffre d’affaires de 10%. Un total décalage entre l’économie financière et l’économie réelle ! Jusqu’au jour où la Bulle finit par éclater… Et l’indice chéri du NASDAQ Composite d’entamer une déflation accélérée. Une purge qui allait durer des mois, des années même.
Alors que reste-t-il, quinze ans plus tard, de ces années folles ? Reste un symbole, tout d’abord. Celui du jeune entrepreneur entouré d’une bande de geeks en tee-shirts. Celui aussi de changements souvent jugés irréversibles dans le monde économique. Des innovations « de rupture » qui ont laissé k.o. bon nombre d’acteurs traditionnels qui n’ont pas su ou pas voulu prendre en marche le train du numérique. Et au plan purement boursier, une relativement lente reprise de la vigueur du NASDAQ. Leader incontesté de l’accès aux capitaux pour les entreprises innovantes, venues du monde entier. Quinze ans après, les arbres ne montent toujours pas jusqu’au ciel. Et la bonne santé des valeurs d’Internet ne mettent pas ce secteur économique à l’abri d’un nouveau choc. Qu’il soit d’origine monétaire, obligataire, immobilier ou autre…
Laurent