Elle était comme ça, Mamie. Elle n’aimait pas prendre ses drogues ! Ah ça non, c’était pas son truc les médocs. Mamie, d’ailleurs, elle les oubliait souvent ses drogues. Et puis, les années passant, elle s’est vite retrouvée avec un pilulier, la pauvre. Un peu comme un boulet attaché à la cheville d’un prisonnier.
Si elle était là, aujourd’hui, que dirait-elle de ces médecins-experts-oiseaux de malheur qui pullulent sur les écrans de télé à la moindre catastrophe sanitaire ? Elle leur dirait peut-être d’aller se rhabiller ! Et de toute façon, elle n’avait pas le temps pour ce blabla. Elle qui n’a pas connu « l’info en continu », elle se demanderait sûrement à quoi ils jouent, s’ils n’ont pas un vrai métier, de vraies choses à faire, quoi !
Certes elle était « gâtée » par les pharmaciens, Mamie. Mais dans les médias, quelle indignité, ces aboiements parisiens sponsorisés, aux relents de conflit d’intérêt… Mais c’était une taiseuse ma grand-mère, alors elle ne serait pas allée si loin dans ses remarques. Pas de combat d’idées inutiles. Ici on travaille, encore et toujours. La retraite à… 78 ans !
Sa seule lubie c’était donc ces drogues à ne pas prendre. Nous autres, ses enfants ou petits-enfants, bêtes et disciplinés, nous ne savions que lui répéter qu’il FAUT les prendre ces médicaments. C’est comme ça et pas autrement ! Si l’homme à la blouse blanche l’a écrit…
A l’époque on était trop jeunes ou naïfs pour songer à cette rente pharmaceutique. Pourtant, quelle magnifique rente déjà, une population vieillissante aux bobos chroniques ou à répétition. Il nous reste pourtant ce souvenir de son armoire à pharmacie, ce meuble plein à craquer de substances en tout genre et dans tous les formats : poudres, comprimés, crèmes, gouttes, gélules, etc.
Une armoire de Perlinpinpin ! Aussi, sa consommation quotidienne de médocs faisait peur à voir, d’autant plus que du reste elle mangeait peu, Mamie. On aurait presque dit qu’elle se nourrissait de médicaments !
Mais voilà. Un jour à son tour on se retrouve malade. On hésite, on alterne entre des phases où on serait prêt à avaler n’importe quoi (même des couleuvres) pourvu que ça fasse du bien, et des phases où on se dit « même pas mal » et puis voilà, on n’est ni à l’article de la mort ni en sucre ! C’est dans cette deuxième situation que le personnage de la grand-mère « antimédocs » me revient alors en pleine figure. Alors me voilà un peu comme elle, à laisser s’installer quelques douleurs pas si graves. A se laisser polluer la journée ou le sommeil nocturne en se justifiant soi-même que de toute façon, hormis le paracétamol…
Fierté excessive, sens du défi, bravoure inutile ? Bon, il est vrai que certains considèrent que la douleur est un message, qu’il faut l’écouter, l’accepter, etc. Mais surtout, nous sommes perclus de contradictions, d’envie que l’infirmière ou le médecin prennent bien soin de nous et, dans le même temps, souhaitons rester autonomes, se débrouiller seuls.
Laurent