Certains économistes, observateurs attentifs du petit jeu commercial auquel se livre la France adossée à l’Union Européenne, ont parfois des coups de blues. Des moments de déprime devant la caméra à moins que ce ne soit qu’une ruse, une provocation pour faire sensation. Dans un monde qui semble parfois avancer comme ces canards à qui il manque la tête, désorientés, la France et l’Europe ressemblent à un autre animal de la basse-cour : le dindon ! Ainsi tel journaliste économique empathique, proche du peuple et de ses peurs, lâche ses gros mots. « Dindon de la farce », « idiot du village global ». C’est donc ça la France, ce pays d’irrésistibles Gaulois qui se ferait, bon an mal an, tailler des croupières sur la scène internationale ?
Ainsi le commerce international, l’échange à tous les vents de produits ou de services, pourrait-il devenir le grand méchant bouc émissaire. Regardez l’Allemagne (fantasmée) et les Pays de l’Est (dénoncés, plombier polonais en tête). Vite récupéré politiquement pas certains partis, ce déshonneur national, ce crime de lèse-souveraineté déchaine les passions d’un Ministre de l’Economie sorti de l’ENA et de Rothschild, cherchant à défendre bec et ongles sa vision du monde. Y a-t-il un pilote dans l’avion français du commerce extérieur ? Qui garde le temple de la souveraineté nationale, dans l’intérêt (théorique) de toutes les parties prenantes ?
Parfois l’on a l’impression de s’être fait déposséder d’un ancien pouvoir, une liberté de choix jadis nationalisée. Comme si le débat avait été affreusement, à notre insu, à la fois privatisé et délocalisé à Bruxelles ! La Belgique a bon dos, car de quel débat parle-t-on ? A-t-on fait notre autocritique ? Qui se souvient des options entre nos mains, pour ou contre l’Europe, pour ou contre l’Euro, pour ou contre le libre-échange en Europe et avec l’extérieur ? La France est vraiment mal à l’aise avec le débat. La faute au peu d’intérêt que nous portons à la question économique. Il paraît que c’est culturel comme l’est la « culture de la plainte » et la « culture de la coupure de la parole » dans notre beau pays. Comme si la lutte des classes avait décrété que l’économie devait être l’affaire des autres, les vénaux, les anglo-saxons. La France est-elle trop belle pour être intelligente et rusée ?
Le malaise est à son comble lorsqu’un vice-président bien à droite vide son sac en public et évoque le Traité Transatlantique. On aurait dit qu’il venait de trouver une arme à feu dans la poche du Ministre qui lui faisait face. S’en est suivie une déferlante de « mauvaises nouvelles », d’injustices dans la façon dont son réglées, souvent abusivement, les querelles entre grandes entreprises et états. Vision diabolique d’un bras de fer judiciaire dominé de facto par la puissance privée. Revoilà notre dindon de la farce plumé à cause de ses soi-disant entraves aux entreprises, au nom de la « protection des investissements ». Mais s’est-on, au risque de paraître hors-sujet, posé la question des grands absents du bras de fer : l’homme de la rue, le français moyen et son bon sens citoyen ? Il est resté seul, dans l’ignorance. Alors au pays de l’assistanat, de la délégation politique, s’ouvre une « autoroute électorale » pour les alternatifs que sont, au choix, les anti ou alter mondialistes, de gauche comme de droite. Grandes entreprises et grands partis contre petites entreprises et petits partis ! Bientôt dos au mur, la France hésite encore à se ressaisir.
Le syndrome du « dindon de la farce » n’est pourtant pas qu’un délire populiste et journalistique. Le ras-le-bol gronde, la misère et la crainte du lendemain représentent une vraie menace pour les grosses cylindrées que sont les « grands partis ». Grand a été leur autisme, leur déni face aux dysfonctionnements de la politique européenne et face au sens réel du vivre ensemble. Car si l’on peut trouver sympathique notre liberté de mouvement, de circulation et d’échange, encore faut-il que cela serve à chaque individu, sans exclusions massives. L’intégration européenne, qui n’est ni une fusion ni une fédération d’états, montre autant d’avantages que d’inconvénients. Lorsque l’Europe ralentit économiquement, entraînée par une récession mondiale, les occupants du navire se ruent sur le poste de pilotage pour dénoncer le dumping social ou fiscal. L’indiscipline européenne éclate au grand jour, et le Nord comme le Sud de la zone euro se crispe. Plus personne n’assume quoi que ce soit. Comme dans une basse-cour pleine de dindons affolés !
Laurent