On connaissait l’aquaculture et ses promesses, parfois optimistes, de servir de relais de croissance à la pêche du poisson dit « sauvage », alors que les réserves naturelles de poisson diminuaient. Mais la pêche en mer, loin des parcs d’élevage, n’a semble-t-il pas dit son dernier mot. C’est en Mer du Nord que la scène se joue. D’un côté, des pêcheurs dits « artisanaux », avec leurs embarcations de taille moyenne et leurs chaluts traditionnels. Et puis de l’autre côté, de grosses embarcations au caractère plus « industriel »… aux filets plus grands, voulus plus efficaces (ou dévastateurs, c’est selon).
En Mer du Nord, le ton est monté d’un cran entre Britanniques et Néerlandais, depuis que ces derniers ont expérimenté une nouvelle technique : la pêche électrique. On connaissait, au rayon torture, les électrochocs, longtemps utilisés dans les asiles dits « de fous »… jusqu’à ce qu’on interdise ce procédé et qu’on reconnaisse que les fous étaient autant les médecins prescripteurs que les malades de l’époque. Retournons en Mer du Nord. Cette fois, ce sont les poissons des grands fonds qui sont la cible des électrochocs.
Ce nouveau procédé, ladite pêche électrique, a fait sortir de ses gonds l’ex-Ministre de l’Écologie Ségolène Royal. Elle-même, lors de son mandat ministériel, s’était déjà prononcée, contre les autres techniques de chalutage qui – déjà – étaient suspectées tout détruire sur leur passage. Et donc mettre à mal le renouvellement des réserves halieutiques.
Comment cette technique, dite du « pulse trawling » (chalut à impulsion – comprendre électrique), fonctionne-t-elle ? Les filets envoient des décharges électriques au fond de l’eau. Ces déchargent créent des convulsions chez les habitants des fonds marins (crevettes, poissons plats) qui se détachent alors des sédiments dans lesquels ils vivent. Il ne reste plus qu’aux filets de les « cueillir » avant de les remonter à la surface ! Selon le site britannique Marinet, cette technique de pêche assez peu orthodoxe permettrait – on s’en serait douté – des gains importants en termes de rendements.
Interdiction et dérogations
L’Union Européenne peut-elle tenir une position si proche de la schizophrénie, entre sa volonté de garantir une pêche durable, et « en même temps » (comme dirait notre actuel Président) laisser faire une telle boucherie (un comble pour du poisson) à courte vue ? Le 21 novembre 2017, la Commission de la pêche du Parlement européen a voté un amendement permettant une extension massive de la pêche électrique en Europe. Selon Claire Nouvain, Présidente de BLOOM « les lobbies de la pêche industrielle ont gagné… La bataille va maintenant porter sur le vote en plénière ».
Comme souvent en matière commerciale, les accords se négocient loin du regard du grand public, ce même public qui est prié de consommer tout en fermant les yeux. Et c’est bien là où se situe la contradiction de notre époque. Mais Bloom – dans le sillage des Sea Shepherds, Greenpeace et autres activistes en faveur de la protection des mers – se bat depuis longtemps pour « arrêter le massacre ». Avec quelques victoires depuis 10 ans, comme l’interdiction du chalutage profond. Et des engagements consentis par de nombreux acteurs de la grande distribution, notamment en France. Sur la route d’un accord gagnant-gagnant ?
The Independent a osé rapprocher la « pêche électrique » et les techniques de « fracking » utilisées pour extraire le précieux gaz de schiste. Bruxelles, comme à l’accoutumée, userait et abuserait de la technique du bulldozer. A savoir que plutôt que de faire perdre du temps aux industriels, les « Big Fish », dans de longues procédures d’études (scientifiques) d’impact, ce sont des licences d’exploitation de « pêche électrique » qui ont été concédées. Les « Big Fish » ont donc occupé le terrain, sans attendre…time is money. Empêchant la science de faire correctement « son boulot », l’Union européenne a donc de nouveau choisi son camp, sacrifiant le long terme en se soumettant à l’impératif économique… « as usual » !
Les dindons de la farce sont pour le moment les petits et moyens acteurs de la pêche d’une part, et l’environnement, d’autre part. Alors doit-on attendre la pure et simple disparition du poisson sur les étals pour que les gentils petits consommateurs que nous sommes finissent par lever la tête ? Ou va-t-on bientôt « faire le lien » entre ce qui se passe en Mer du Nord et ce qui ne se passe plus dans nos assiettes ?