Des rendements en panne ?

Chaud devant ! Avec les caprices de la météo, voire du climat, les récoltes de blé auraient cette été baissé de 30%. Atteignant même leur niveau le plus bas depuis 1986, selon le Ministère de l’agriculture. Plus récemment, ce sont les rendements viticoles qui sont revus à la baisse dans plusieurs régions. Mais peu de monde semble s’en émouvoir, sur un air de « ça ira mieux demain ». Pourtant, sur le long terme, il semble y avoir un consensus assez large dans la communauté scientifique, prévoyant une baisse continue de ces mêmes rendements. Impossible diront certains dissidents. Pas si sûr rétorqueront d’autres, parmi les plus optimistes, les yeux rivés sur les promesses de la recherche.

Comme dirait un ancien président français, cela n’aurait que peu d’importance s’il n’y avait cet énorme problème ou défi de la démographie. A l’opposé de cette vision de pure politique politicienne, surfant sur nos émotions incertaines autour du spectre de la surpopulation, les hommes et les femmes qui ont le plus les pieds sur terre – notons que cette qualité est rarement présente chez les grands avocats, énarques et autres apparatchiks – nous rappellent sans cesse la grande histoire d’un crime organisé par l’homme, contre la nature et donc contre lui-même. Une sorte de viol collectif, avec le consentement de la population urbaine ou rurale, de notre terre nourricière. Ce à quoi les économistes, fanatiques des gains de productivité (les techno-optimistes déjà mentionnés) rétorqueront que sans ce progrès technique, nous serions resté faméliques depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. En d’autres termes, nous devrions tous nous taire et rendre silencieusement hommage au chimiste Liebig, le père de la chimie agricole et des engrais artificiels, mettant le bon vieux compost au rebut. Au passage, n’oublions pas d’applaudir le succès de la conversion de Bayer & Co, fabricant de poudre à canon reparti de plus belle, dès la fin des bombardements, dans les engrais azotés ! Ce même Bayer qui souhaite en 2016 croquer Monsanto, et conforter sa position oligopolistique.

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Mais elle est là, tenace bien qu’assez peu perceptible, la panne des rendements. Une histoire de promesse non tenue. La promesse initiale, notre péché originel, cette croyance que la technique permettrait le « toujours plus ». Que l’amélioration de la sélection allait permettre de battre tous les records. Les rendements baissent en Afrique ? A la limite, ce n’est pas un problème pour l’agriculteur européen ou américain…qui se fera un plaisir de lui vendre ses éventuels surplus ! Mais quid d’une baisse du rendement dans notre propre pays ? Il faut admettre que si cela devait être le cas, l’affaire resterait étouffée par tous les moyens, tant l’affaire est grave et les enjeux énormes pour tout un pan de l’économie. Au même moment, certains scientifiques se permettent de rappeler que les OGM, par ailleurs tant décriés, n’auraient jamais été conçus afin d’améliorer les rendements. Alors la sortie de ce cauchemar agricole, c’est où ?

A force de prendre le sol pour un « support neutre », à force de dénigrer sa richesse et sa complexité, l’homme a fini par céder au chant des sirènes des solutions simplistes. Le divorce entre l’agriculteur et le sol ne date pas d’hier. C’est tout un système éducatif et économique qui s’est, au fil du temps, éloigné du sol. A un tel point que les paysans ont été dépossédés de leur savoir-faire ancestral, pour finir par se méfier du sol ! Comme si on ne pouvait plus se fier à cette formidable machinerie naturelle, mélange de physique et de chimie, de minéral et d’organique, d’échanges généreux et…gratuits ! L’idéal moderne piloté par ordinateur, hors sol ou loin du sol, a fait basculer la profession dans une espèce de fanatisme. Un idéal de gestion agronomique moderne devenu incapable d’ouvrir les yeux sur la réalité du sol. Et le déni de sa perte de fertilité par surexploitation agricole, son érosion, là sa désertification, ici son incapacité à retenir l’eau… ailleurs sa salinisation, sa contamination… Mais dans les laboratoires, la fuite en avant permet de continuer de rêver à un dépassement du potentiel génétique des plantes (seuil psychologique des 150 q/ha pour le blé, culture star). Pendant ce temps, sur le terrain, c’est la stagnation voire le déclin (notamment en Afrique, en Asie centrale).

Qu’il s’agisse des époux Bourguignon, de Pierre Rabhi, de Marc Dufumier ou de milliers de leurs élèves anonymes, tous ces esprits libres œuvrent en faveur d’un travail plus harmonieux, plus intelligent et riche de sens. En élargissant le sens de « rendement agricole » !  Agro-foresterie, polyculture intensive, agriculture biologique ou raisonnée. Peu importe les étiquettes. et tant pis si cela peut entraîner des tensions, des moqueries, des rivalités.

Le travail de la terre reconnecte les hommes au réel, loin des artifices sortis de laboratoires lointains. Avec une vraie rigueur empirique, loin des dogmes d’un milieu réputé terriblement conservateur, si difficile à remettre en cause. Car chacun sait bien que les premières années seront difficiles, et qu’il faudra s’armer de courage, de détermination, et redoubler d’efforts. L’intelligence humaine, en mode collectif, contre le dopage des intrants chimiques et de l’arsenal mécanique ordinaire. Enfin, quelle récompense, quelle satisfaction à la clé ! Alors, des rendements en panne ? Pas en panne d’idées !

Laurent

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