Avez-vous un problème de vocabulaire ?

Au quotidien, nous fréquentons de plus en plus d’informations de contrebande, des nouvelles sulfureuses aux origines parfois douteuses ! L’information « Label Rouge » ou d’origine protégée est rarement au rendez-vous des lecteurs pressés que nous sommes. Prenez les gazettes des « grands de ce monde ». Le traitement médiatique de leurs frasques et de leurs émois est très variable sur la forme : du plus trash, voyeuriste au plus zébré, soporifique, parfois délirant. Avouons avoir lu Closer, Gala, avoir feuilleté au moins une fois Point de Vue – Images du Monde. Certaines revues sont si lues et paradoxalement si peu achetées, comme si leur possession officielle pouvait nuire à notre propre image. Quant à ces « éditions limitées » sur papier glacé, n’a-t-on jamais rêvé d’en dérober juste une ? Comme ces revues alpines haut de gamme qui ne paraissent qu’en hiver.

GOTHA

Comme aussi le magazine d’un village provençal ou d’une station normande, dans le vent, pour les beaux jours et à l’attention exclusive des belles gueules. Souvent la qualité rédactionnelle s’avère inversement proportionnelle au niveau de gamme des annonceurs. Les inserts publicitaires sont arborés, tels des trophées de chasse des temps modernes. Où est le contenu, prétexte au luxe tapageur ? Mais là, sur Gotha.fr, l’information est présentée sobrement, avec l’application du bon élève. Le style est mesuré. Il s’efforce de se hisser à la hauteur du « beau monde » auquel il se consacre avec passion. Prolétaires et gens d’en bas devront peut-être passer leur chemin.

Au quotidien, nous prenons guère le temps du « slow reading », pas plus que du « slow food » ou du « slow life » (un truc de vieux quadras en crise ou de bobos zébrés). Pas le loisir, ni même le luxe, de s’arrêter sur un point de détail. Or un point de détail fort utile, c’est le sens des mots. Pas juste des mots-vignettes, des mots-étiquettes pour frimer. Non ! Juste le sens véritable des mots. Evitons le « choc des photos » cher à Paris-Match et qui est une parfaite « tromperie sur la marchandise » à l’heure de Photoshop.

La pesée du sens, elle, demande un peu plus que notre cerveau reptilien. L’homme ne peut-il pas mieux se tenir qu’un diplodocus, une vipère ou un varan ? Car parfois nous avalons « tout rond » les mots comme le varan sa proie, sans mastication et au final, sans digestion. Mauvais réflexe ! Plus nous lisons vite, moins nous réfléchissons et apprenons. Est-ce la faute à la technologie ? Ou encore un complot du monde des medias, peuplé d’affreux jojos qu’on ose encore appeler journalistes ? Nous tous, lecteurs-victimes ? Pensez-donc !

Il y a fort longtemps, on nous mettait en garde face aux mots en « isme ». On nous prévenait des dangereux néologismes, au sens approximatif. Les anciens étaient-ils meilleurs que nous, mieux préparés ? Plus rigoureux, sous l’autorité de leurs parents et de l’école ? Des dictées ils en avalaient au même rythme que nos bambins actuels avalent leur goûter entre deux jeux video, car il n’y a plus de temps à perdre. La dictée ? Pourquoi pas encore lire des livres sans images, avec une cuillère d’huile de foie de morue et des coups de bâton pour se donner du courage ? Lecture et écriture sont en voie de disparition d’après les chantres de You Tube et autres « miroirs aux alouettes » connectés. Miroirs aux quoi ??

FAIBLESSES SEMANTIQUES

Devenus hyper-connectés mais peu à peu déconnectés des mots, parfois des entreprises de désinformation en profitent. Elles usent et abusent de nos nouvelles faiblesses sémantiques (du sens des mots). Nos régressions scolaires sont leur fonds de commerce. Par exemple, le terme partenariat est vidé de presque tout son sens. Utilisé à toutes les sauces, de l’étudiant en « 1ère année » au lobbyiste de Bruxelles en passant par le marketeur (mercateur ?) aguerri. D’après un certain Larousse, un partenariat c’est un « système associant des partenaires sociaux ou économiques, et qui vise à établir des relations d’étroite collaboration (exemple : l’entreprise et ses fournisseurs ou sous-traitants). » Dans une relation partenariale, on s’efforce à « vivre ensemble », à coexister et coopérer. Avec respect, dans la durée.

Normalement, tout partenariat débouche sur un accord « gagnant-gagnant », comme dans un jeu à somme non-nulle. Le contraire, par exemple, du poker ou du loto ! Etrange dévoiement du mot « partenariat » à la sauce commerciale ou politique. Commercial ou politique, publicitaire ou de propagande. Prenez le « partenariat transatlantique » (ou transpacifique). Formule de magie noire ? Les Chinois, les Américains ou les Européens ont-ils voté ou manifesté pour davantage de libre-échange ? Qui a mal lu la définition du mot partenariat ? Alors, partenariat ou simple projet de traité ? Accord ou désaccord ? Certains journalistes sérieux, des Échos ou d’ailleurs, commencent à revoir leur vocabulaire.

question-mark

Susan George, elle, n’a pas peur des mots ! Avec « Les Usurpateurs » la journaliste Franco-américaine ose monter sur le ring du vocabulaire. Ainsi stake holder, qui en anglais désigne essentiellement un groupe de décideurs ou d’influenceurs à caractère économique et financier, est-il souvent traduit (injustement) par le terme de « partie prenante ». Lost in translation ? Trompés par la langue de Shakespeare ou par Google Translate, nos journalistes ? Susan George, déterminée, décrypte ces réunions à huis clos où seuls sont conviés les stakeholders (pouvoirs économiques stricto-sensu, remember) ? Pourquoi refuser l’accès aux représentants de toutes les parties-prenantes (consommateurs, syndicats, associations) ? Quelque chose ne va pas ? Avez-vous, chers partenaires, des problèmes de vocabulaire ?

STAKE HOLDERS – PARTIES PRENANTES

Reste une énigme. Comment se rapprocher par les mots de ce Gotha, si cher à Stéphane Bern ? Peut-on rivaliser avec des stakeholders de la City et de Davos ? Et si c’était en les singeant, avec aisance orale, avec rhétorique et suffisance, digne des grands princes d’autrefois ? Sans peur et sans reproche, car le jeu en vaut parfois la chandelle ! Et l’on voit bien, de Washington à Londres, de Miami Beach à Gstaad, qu’il faut bien un certain détachement. La figure de style, de la plus vulgaire à la plus subtile, est un passage obligé. Il faut bien surprendre ceux que plus rien n’étonne, les blasés du luxe et de la dépravation.

Et pourtant le star-system actuel n’a guère le temps et l’envie – faute d’éducation parfois – de faire des efforts. Au risque d’oublier toute rigueur académique. Vite, il faut briller, parader, impressionner le commun des mortels. Twitter, sans crainte du ridicule. Jaser et faire jaser, se gargariser verbalement et visuellement. Sans risque de croiser, au sommet de la pyramide, des examinateurs du bac ou des contrôleurs des transports en sens commun. Le discours est privatisé, loin de toute régulation étatique. Disparus les redresseurs de torts linguistiques, anciens profs de lettres psychorigides ! Seuls des journalistes assermentés, attirés par la lumière et par la fortune, ont droit de cité. Leur soumission paye le droit de péage de la Cour des puissants.

Laurent

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