Alexandre Penasse, journaliste indépendant, qui se réclame « antiproductiviste », questionne le statut particulier des journalistes, en Belgique comme en France. Il s’appuie notamment sur les observations de François Ruffin, étudiant-taupe au réputé centre de formation des journalistes en France, lequel explique : « Parmi nous, aucun enfant de manœuvre, de cheminot, de caissière. Ni Black ni Beur des “zones de non-droit” (…) Un cloisonnement social que renforce encore la claustration : nous vivons entre nous. Nous discutons avec les patrons de presse et autres cadres », ce qui donne souvent lieu dans le traitement des reportages à un « banal racisme de classe ».
Puis l’élève Ruffin enfonce le clou en déclarant : « Sous nos plumes, nulle remise en cause de l’ordre – scolaire, financier, judiciaire, … – établi… qui nous a, il est vrai, jusqu’ici bien servis ».
Les journalistes sont donc très loin du monde ouvrier et ils comprennent vite que dans leur perspective de carrière, trop remuer dans la réalité préfigure de futurs ennuis et n’est donc pas porteur en terme de « plan de carrière ». Ceux qui « réussissent » sont donc ceux qui entérinent l’état du monde, caressent dans le sens du poil le dogme néo-libéral qui obsède chaque parti dit « de gouvernement » sous couvert d’un traitement neutre et objectif.
Plus, loin, nous allons à la découverte de traitements de l’information qui laisseraient à désirer. Et les exemples ne manquent pas. Le 20 octobre 2015, Béatrice Delvaux écrivait dans son édito « Un pari dangereux », interprétant les actions syndicales à Liège et sur le rail : « Les dirigeants syndicaux (…) évoquent des “actions isolées”, nourries par le ras-le-bol croissant des travailleurs devant l’accumulation de mesures “antisociales” du gouvernement. Marc Goblet [NDLR secrétaire général de la FGTB] hier se refusait ainsi à condamner ces actions, incriminant le gouvernement fédéral qui, avec sa politique, aurait allumé le feu. Cela correspond à l’évidence à un ressenti ». Les réactions des travailleurs aux mesures gouvernementales ne seraient juste qu’un « ressenti », un état subjectif dans lequel il n’y aurait aucune base réellement objective ; des revendications d’enfants gâtés donc, selon les médias. Enfin… selon ces médias.
Les syndicalistes n’auraient dès lors le droit que de s’exprimer calmement lors de manifestations prévues et autorisées. Ou durant des « concertations sociales », terme donnant l’illusion d’une équité des protagonistes devenus « partenaires », mirage d’une égalité inexistante qui élude toute la puissance symbolique et matérielle du capitalisme (et donc aussi la position que les médias occupent dans cette structure). Si les contestataires vont trop loin, ils feraient le jeu de ceux à qui ils s’opposent, le journaliste ne percevant jamais que c’est lui qui fixe arbitrairement les limites à ne pas dépasser. Et ce jeu, dont il fait les règles, semble, au fond, bien l’arranger.
Qu’ajouter à cet état de fait ? Que nos chers médias nous coûtent cher. Cher en matière de « temps de cerveau disponible » (Patrick Le Lay). Et qu’ils nous donnent l’impression d’avoir le choix, avec une offre généreuse. Après tout, le client, auditeur, lecteur ou simple téléspectateur, n’est-il pas roi ? Il n’aura échappé à personne que la gamme des chaînes de télévision s’est étoffée, à grands coups de TNT et de gratuité. Côté presse également, le même foisonnement et une info prémâchée gratuite qui finit par joncher le sol des rames de métro ou de tramway.
Mais au fond, que reprocher à Penasse, Ruffin et consorts ? De trop étaler leur frustration sociale ou économique ? De jalouser l’élite des grands journalistes ? Lesquels, à vrai dire, n’investiguent plus guère mais parlent bien, disposent de contacts privilégiés, écrivent bien et se font toujours remarquer. Alors nos Robins de Bois de la presse ont-ils tort de jouer les vengeurs masqués, en se plaçant du côté des « victimes du système », et strictement de ce côté-là ?
– A découvrir sur : http://www.investigaction.net/
– Les petits soldats du journalisme, François Ruffin (Arènes, 2003).
Résumé : Le Centre de formation des journalistes se proclame » la meilleure école de journalisme en France et même en Europe « . Patrick Poivre d’Arvor, David Pujadas, Pierre Lescure, Franz-Olivier Giesbert, Laurent Joffrin et tant d’autres ténors de la presse sont passés dans ses murs. Pendant deux ans, François Ruffin a suivi leur exemple. Elève appliqué, il a pris en notes les conseils des professeurs et les confidences des » grandes plumes « . Il s’est coulé dans le moule, pour voir. Et il a vu. » Dans un an, vous serez journalistes, confie un intervenant. Vous entrerez dans ce que j’appelle » le complot de famille « , c’est-à-dire des règles qui peuvent scandaliser les gens mais, bon, c’est comme ça que la machine fonctionne. » Un » complot » que ce livre met au jour : tacites ailleurs, les règles du métier sont ici affichées sans vergogne. Comme dans un miroir grossissant, le journalisme ordinaire se révèle alors sans fard : la célébration du vide, le mépris du public, la soumission aux pouvoirs, la quête du profit, l’information prémâchée comme seul horizon… Un récit incisif et insolent qui démonte, pièce à pièce, les rouages de la machine médiatique.
Laurent
Excellent article qui met le doigt sur un sujet complètement tabou : l’aristocratie de la presse.
Si cette aristocratie peut faire penser à un « ancien régime »… la blogosphère constitue-t-elle le « nouveau » ?
Ce que je peux dire c’est que cela fait bien longtemps que je partage, sans être allée 1 an dans cette école, le fait que les journalistes ne nous informent pas vraiment ou que de ce qu’ils veulent bien nous dire de façon politiquement correcte, que nous sommes manipulés pour que des sondages montent en épingle le candidat de la droite et/ou de la gauche qu’ils voudraient voir élus (heureusement bien souvent le libre arbitre de électeurs fait son travail) que les scandales ne sont dénoncés que quand ils ne peuvent plus faire autrement que de les révéler, etc…. etc….. Alors écoutons les d’une oreille distraite, et faisons nous notre propre opinion en allant écouter la presse étrangère ou des auteurs comme celui dont vous parlez Laurent qui aide à chercher au travers différentes sources des informations plus objectives et plus à même de faire que l’on puisse se faire sa propre opinion.
Il n’y a rien de plus édifiant constat quand on connaît un sujet en profondeur qu’il s’agisse par exemple du handicap, d’un métier, etc… d’entendre toutes les bêtises qui peuvent se dire ……
Bien cordialement
Renée