La fusion nucléaire, un projet mondial généreusement sponsorisé par nos impôts, ressemble curieusement à un vieux rêve issu de l’Antiquité. Qu’il s’inspire de la légende d’Icare ou de celle de Prométhée, le rêve de la fusion nucléaire est un tas de nœuds contradictoires.
Philosophiquement : la fusion nucléaire, avec sa promesse de rendements impressionnants et sa quasi-absence de déchets (le rêve ? parlez-en aux riverains de la Hague ou de Fukushima), représente sur le papier la quintessence de la libération de l’Homme. Pas de vie – ni alimentation ni mouvement de l’homme et des objets qui l’entourent – sans la divine énergie ! Mais philosophiquement encore, le doute nous saisit lorsque le devoir de mémoire nous ramène soudain à ce que Mère Nature nous a laissé en héritage : un soleil ! Une étoile qui nous réchauffe le corps et l’esprit. Une méga-centrale à fusion nucléaire gratuite ! Rappelons que l’énergie solaire est partout tout, on l’exploite déjà avec les hydrocarbures (forme fossile issue de la photosynthèse : c’est vrai pour le pétrole, la gaz et le charbon), mais aussi avec les éoliennes, l’hydroélectricité et bien sûr le solaire thermique et photovoltaïque… Alors vouloir recréer artificiellement ce qui nous est offert gratuitement tous les jours, est-ce vraiment raisonnable ? Tout défi scientifique et technologique mérite-t-il d’être relevé ? Qui donc nous y oblige et nous détourne des choix issus du bon sens ?
Economiquement : comme l’on sait que le secteur privé ne sait seul gérer un tel méga-projet, la fusion est expérimentée au plan international avec l’appui financier de nombreux états. Comme le montre cette émanation du Traité Européen EURATOM, joliment nommé Fusion for Energy (F4E). Comme souvent, le budget glisse, s’allonge autant que les retards de la construction. Mais les mètres cubes de béton ont coulé, alors si les ingénieurs du nucléaire s’impatientent, ceux du génie civil sont ravis…
Socialement : malgré les déclarations d’un concurrent d’Areva, avec l’hypothétique fusion nucléaire nous nous embarquons une fois de plus dans une exploitation hypercentralisée, au détriment de la création d’emploi et du contrôle citoyen. Car partout sur terre, de la France au Japon, on connaît tristement l’omerta qui entoure le secteur de l’énergie nucléaire. Les citoyens et la démocratie sont bafoués par un déficit chronique de transparence. La gestion des centrales nucléaires est un modèle d’obscurantisme et de sous-traitance en chaîne qui brise les liens de la responsabilité de l’entreprise exploitante.
Techniquement : les doutes sur la faisabilité de la fusion ont été révélés par des spécialistes du nucléaire français comme le couple Sené, membre du GSIEN (groupement de scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire). Officiellement on se moque, on minimise l’information indépendante et les compétences techniques des dissidents.
Alors l’entêtement actuel du côté de Paris et de Cadarache ressemble terriblement à de l’acharnement politique. Qu’on se rappelle les douces paroles du grand maître des Mines, Jean-Louis Beffa, déclarant récemment que son Corps représenté l’objectivité scientifique. Qu’il est agréable d’entendre des gens si sûrs de leur suffisance !
Émotionnellement : qu’on se rappelle le tragique enchaînement des accidents de Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima. Et outre ces trois catastrophes à l’impact médiatique global, des tas de bugs (fuites et pannes, utilisations hasardeuses de déchets) plus ou moins affolants pour les riverains et pour le grand public. Mais media à l’appui, on minimise toujours. La France ou la Belgique ne sont pas épargnés mais restent droits dans leurs bottes, feignant l’absence de risques pour la population. Mais les hauts responsables craignent les mouvements de panique et les peurs jugées irrationnelles. Alors officiellement il s’agit toujours de rassurer, même si aucune personne sensée n’osera affirmer que le risque zéro existe. Emotions positives aussi, comme ce site d’information sur la fusion nucléaire qui annonce l’arrivée de l’énergie du soleil sur terre. Un événement galactique à portée de mains ! Sauf qu’encore une fois, l’on ne fait que construire un « démonstrateur », que son coût pharaonique freine automatiquement le financement de recherches alternatives notamment envers les énergies renouvelables. Et si l’on omet les données financières qui fâchent, reste le délai. Ainsi apprend-on que F4E, l’organisme européen impliqué dans le projet ITER, a été créé en 2007 pour une durée de 35 ans. 35 ans, cela nous mène à 2042. Et après, peut-être pourra-t-on industrialiser, donc produire enfin cette si chère énergie… Mais en attendant ne bougez pas, laissez-nous faire ! On va trouver une solution, La solution (voir sur fusionforenergy.europa.eu).
Finalement, et puisque le suspense reste entier sur l’avenir de la fusion nucléaire artificielle, l’on ne peut qu’être partagé entre espoir et désespoir. Entre l’espoir que le génie humain nous sorte de l’impasse énergétique dans laquelle nous sommes actuellement prisonniers, et le désespoir que traduit cet énième délire politique mondialisé, dont la prétention n’a d’égal que la naïveté intellectuelle.
Laurent