Gros mots de campagne

Non, les gros mots de campagne ne sont pas des insultes en milieu rural ! Ce sont parfois des néologismes médiatiques. Souvent ils sont nés en milieu urbain. Ils sont « gros » parce qu’ils prennent de la place, encombrent le récit plus ou moins élégamment. Parfois il s’agit d’éléments de novlangue utilisés à tort ou à travers. Gare à ces mots ou formules toutes faites ! En voici quelques-uns, triés sur le volet. Nous avons essayé de les décortiquer et de les contextualiser.

  • Vote utile : acte de bravoure et d’audace citoyenne (ou de grotesque lâcheté, c’est selon !) Consiste à mettre au placard ses idéaux et son intime conviction pour tel ou tel candidat. Ceci dans le but de faire barrage, dans un élan de solidarité républicaine, aux extrêmes. Voter utile c’est un peu se faire violence, car cela force à abandonner ses doutes. Doutes qui mènent tout droit à l’abstention, au vote blanc ou au vote nul. Lesquels en cumul, avec plus de 36% du décompte final, arrivent largement en tête et devant les deux candidats finalistes.
  • Dégagisme : proche cousin du phénomène PRAF (« plus rien à faire », cher à Brice Teinturier, cité précédemment). Mais autant le PRAF mène au choix assumé d’un outsider radical (Mélenchon ou Le Pen, sans oublier Poutou, Asselineau ou Dupont-Aignan au premier tour). Autant le dégagisme, porté par un idéal de renouvellement du paysage représentatif, conduit à choisir un outsider sympathique, jeune et séduisant. Si la frontière entre PRAF et dégagisme paraît assez dérisoire, il faut retenir que, dans tous les cas, ce sont bien les structures (PS et LR) qui sont sanctionnées et les rentiers du système politique jacobin. Un peu comme ce qui s’est passé, aussi, à Washington (un camouflet pour les Democrats et pour les Republicans).
  • Monarchie présidentielle : le Général de Gaulle, le père de la Vème République, aurait un temps hésité à restaurer la monarchie. Sa rigueur militaire et sa sobriété légendaire (lui qui payait certains de ses frais à l’Elysée) n’auront pas évité, chez ses successeurs (Pompidou, Giscard et Mitterrand en particulier) à la fois un comportement hautain, un style monarchique (pouvoir vertical, cour, consommation effrénée de premiers ministres « jetables »). Des observateurs romantiques cherchent à justifier la monarchie présidentielle par le fait que la France n’aurait jamais totalement digéré l’exécution de la reine et du roi, guillotinés en 1793. D’autres, axés sur notre histoire contemporaine, évoquent une réaction à la révolution de Mai 68, au néolibéralisme permissif et à une mondialisation sanglante (effets sur l’emploi, sur l’environnement, sur la sécurité), entretenant un désir de protection paternelle.
  • Cabinet noir : centre de tri des ordures politiques afin de barrer la route aux rivaux du Dauphin (Macron, pas Hamon). Son existence reste hypothétique mais, si elle s’avérait juste, voilà qui laisserait à désirer ! A rapprocher aux abus de pouvoir d’un François Mitterrand au sommet de son art. L’art du pouvoir absolu, presque de droit divin…
  • Primaires : exercice pré-électoral aux effets éphémères, dénué de tout intérêt durable. Les primaires, de gauche ou de droite, sont un sous-produit marketing politique importé des Etats-Unis (un modèle pour la France ?) Les primaires tentent de distraire ou d’intéresser les foules en manque de considération. On retiendra, pour la session de 2017, combien les candidats qui en seront sortis gagnants auront ensuite été décrédibilisés ! L’un par le Pénélopegate (encore un néologisme, cousin du Watergate et du Dieselgate), l’autre par le largage de son entourage partisan… et par la disruption d’En Marche et son positionnement hybride (Dieselgate oblige !)
  • Populisme : terme fourre-tout souvent utilisé pour remplacer « nationalisme » et « souverainisme ». Le populisme, formule concentrée de démagogie, serait la chasse gardée des candidats et des partis radicaux ou extrêmes. Le mot populisme est en tout cas fort pratique pour disqualifier, ou tenter de disqualifier, un adversaire trop gênant. Et si la vague populiste portait en elle autre chose que le seul populisme ? Une recherche de « troisième voie » ?
  • Société civile : Allelujah, voilà la société civile, la source d’oxygène de la démocratie représentative. Elle était attendue comme le Messie. Mais attention : elle peut être source de progrès, dans un nivellement par le haut, ou source de régression, dans un nivellement par le bas (cf. l’équipe de Trump et ses marchands de tapis).
  • Audace : le mot réforme cristallisant trop les peurs populaires, on se dit qu’avec l’audace, terme lyrique et séduisant, le changement pourrait mieux se passer. Affaire à suivre !

Laurent

2 réflexions sur “Gros mots de campagne

  1. Bonjour Laurent,

    Concernant les résultats, il est inexact d’indiquer que abstention + vote blanc + vote nul arrivent largement en tête. Et heureusement !!

    Macron 20,7 M Abstentions 12,1 M + Blancs et Nuls 4,1 => 16,2 M Le Pen 10,6 M

    Mais je te rejoins pour dire que 16,2 M de suffrages non exprimés, c’est plus que révélateur d’un manque de civisme des Français et cela montre aussi que malheureusement le barrage au fascisme n’a pas été aussi important qu’il aurait dû être.

    Quant au cabinet noir, je pense que Fillon était bien assez grand pour creuser tout seul sa tombe électorale et prendre en otage sa famille politique !

    Que seront les mots usités dans 5 ans ?

    A bientôt

    Bertrand

    • Merci pour cette précision numérique !
      Dans les suffrages non exprimés il y a, c’est certain, une distance vis-à-vis de cette tradition qu’on appelle la démocratie représentative. Et aussi
      la marque d’une société qui semble avoir pris un sérieux virage individualiste, peureuse des autres et pessimiste au sujet d’un avenir collectif.
      Le « manque de civisme » est une interprétation qui peut stigmatiser. Ce comportement, loin des urnes (abstention) ou sans conviction (vote blanc ou nul)
      peut aussi refléter une distance critique ou un dégoût de ce qui tient lieu de système. D’où d’ailleurs le « dégagisme », que l’on peut hélas retrouver
      dans 5 ans et même mesurer bien avant (cf. la chute spectaculaire de la cote de popularité du précédent locataire de l’Elysée, et d’autres avant lui).
      Mais l’heure est à la construction d’un nouveau projet. Et peut-être que, pour changer, le meilleur des deux mondes se retrouvera ? A condition d’expliquer,
      écouter, inclure et négocier. Le reste ne serait qu’autoritarisme, jeu à somme nulle (gagnant-perdant) et se retournerait contre la France.

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