Les partisans de la « pleine conscience » ne jurent que par le travail sur soi qui permet de lâcher prise et d’améliorer, paraît-il, l’existence. Et pourtant, quel défi quotidien quand notre attention est absorbée en permanence. La conscience et l’attention sont intimement liés, et le moins qu’on puisse dire est que l’homme « augmenté » par le soi-disant progrès technique se retrouve pourtant souvent esclave de la technique, dépendant, voire « diminué ». Notre attention devient hachée, décousue, déstructurée. Au point parfois de faire vaciller la conscience de soi, à la dérive…
Comme il est plus aisé de voir ce qui dysfonctionne chez les autres, qui n’a jamais été exaspéré par cette connexion virtuelle-déconnexion réelle de la jeune génération ?
Chaque jour, les enfants sortent de chez eux avec un potentiel d’attention. Ils ne portent pas dans leur dos des réserves supplémentaires d’attention ! En somme, leur capacité à se concentrer, à être à l’écoute, est limitée par nature. Alors qu’on le veuille ou non, il est inutile d’espérer de faire des miracles pour capter leur précieuse attention.
A la maison ou à l’école, il ne faut pas s’attendre à des miracles si dès le commencement de la journée, les enfants passent une heure devant leur « doudou numérique ». Attention à la vitesse d’épuisement de l’attention. En fin de journée, pareillement, il est inutile d’espérer une participation active à la maison si ledit « doudou numérique » reste en permanence à portée de main !
Il n’y a pas si longtemps de cela, les générations précédentes pouvaient tout au plus s’exposer aux écrans en tant que téléspectateurs. La palette des distractions était moindre, mais l’on ne s’ennuyait pas pour autant. L’étrange lucarne pouvait leur ramollir de cerveau tout au plus. Les hypnotiser un temps. Mais l’écran n’était juste pas mobile. Intransportable !
Avec un smartphone ou une console entre les mains, la puissance de l’objet est tout autre. La sollicitation, l’interaction sont omniprésents. On ne reviendra pas sur le débat entre les effets négatifs ou positifs de tels objets, ni sur les suspicions relatives aux ondes électromagnétiques. Une chose est sûre : le « capital attention » des enfants n’est pas infiniment élastique !
Le pouvoir magique des termes médicaux (TDAH, dys, etc.) a parfois tendance à nous éloigner un peu de quelques évidences éducatives. Au-delà des cas individuels d’enfants hyperactifs, et de la mise en cause des perturbateurs endocriniens, c’est à un changement de capacité d’attention que nous assistons. Des bataillons d’enfants « dissipés » comme on pouvait le lire, jadis de temps en temps, dans les bulletins scolaires d’évaluation.
La « Petite poucette » de Michel Serres, le monde à portée d’écran tactile, a séduit les masses. Une séduction à double tranchant, entre « paix sociale » sous-traitée et autisme à tout âge. Physiquement, le regard fixé sur le si proche et si étroit écran comporte des risques évidents. La double sollicitation de l’oeil et du doigt, en version « no limit », empêche le repos oculaire, pourtant recommandé par tous les médecins. Et entame le repos ou l’apaisement mental, pourtant nécessaire quand vient l’heure du cours ou celle de la réunion !
Finalement la perte d’attention n’est qu’un symptôme de l’intrusion du monde virtuel dans nos vies réelles. Et comme la vague virtuelle avance plus vite que le monde réel, c’est la société dans son ensemble qui se sent parfois dépassée par les événements, dans un sursaut de conscience !
Si l’on ne peut tout changer, poser quelques limites n’est qu’une question de bon sens. Au plan non-verbal, se rappeler du pouvoir de l’exemplarité. Se souvenir aussi que la sérénité est communicative, qu’un enfant a besoin de ressentir ce qu’on nomme la bienveillance et l’attention sincère. C’est aussi vrai à l’école qu’à la maison ! Et si l’on veut que « ça marche », commencer par déconnecter soi-même de ces mêmes sollicitations électroniques. Et se parler… Alors, rompez les rangs !
Laurent