L’hospitalité pour la vie

Parfois il nous arrive de faire des rencontres intenses, éblouissantes, qui marquent le début d’une amitié sincère. L’intensité de ce genre de rencontre nous remplit d’une joie qui nous fait perdre la notion de temps. La beauté d’une telle expérience repose sur son caractère inattendu, imprévisible. Alors que nous cherchions pour la n-ième fois une nounou pour nos enfants, le hasard a voulu que réponde à notre annonce un étudiant originaire d’Ouzbékistan. Outre son regard un peu bridé, son prénom étrange et son accent exotique, l’une des premières choses qui allait me frapper fut le thème de ses études. Des études en géographie et tourisme, auquel il s’empressa d’ajouter « et en hospitalité »…

Mon esprit trop rationnel fut simplement abasourdi. Comment ça, des études en hospitalité ? Peut-on apprendre l’hospitalité ? N’est-ce pas une valeur qui se transmet des parents aux enfants ? Une sorte de réflexe que l’on acquiert (ou pas) à la maison, loin des bancs de l’université ? J’ai presque cru à une blague lorsque notre jeune candidat ouzbek finit de présenter son pays en soulignant l’importance culturelle de l’hospitalité. Si l’hospitalité est si naturelle dans son pays, alors pourquoi partir à l’étranger, qui plus est en Europe, pour apprendre davantage l’hospitalité ? Les européens ont-ils trouvé le gêne de l’hospitalité ?

thé à la menthe

L’hospitalité dépend des personnes, de leur passé familial, autant que de leur pays. Il est facile de percevoir l’Occident comme une zone du monde asséchée par la compétition économique, par le stress urbain et l’anonymat. La modernité et la course perpétuelle à la productivité ont mis à mal les traditions millénaires de l’hospitalité. Il y a dans l’hospitalité à peu près tout le contraire de la modernité. Priorité à l’humain, et non à une quelconque machine. La relation est désintéressé de prime abord : rien de commercial à court terme, pas de contrat, encore moins d’écrit.

L’hospitalité répond au simple projet d’un contact humain, sincère, basé sur le bon accueil de celles et ceux qui arrivent en terrain inconnu. Les invités ne doivent surtout pas sentir perdus dans l’anonymat ni frustrés par la négligence locale. L’altruisme et l’empathie doivent régner en maîtres, d’autant plus que bien souvent il faudra surmonter la barrière de la langue. Les invités doivent se retrouver « comme chez eux ». Le confort attendu est autant matériel qu’affectif, au point d’avoir parfois l’étrange impression d’être revenu dans sa famille, même à des milliers de kilomètres de notre pays d’origine.

Combien de fois a-t-on eu cette impression d’avoir rencontré une « maman » par procuration, notamment à l’heure de manger. Il est difficile de dissocier l’hospitalité de la cuisine, tant il apparaît que l’on a jusqu’ici rien fait de mieux pour célébrer l’arrivée d’un étranger, d’un voyageur fuyant les hôtels et autres lieux impersonnels. C’est tout la magie et la richesse de l’hospitalité. Ainsi notre jeune ouzbek ne tarda pas à nous parler de la cuisine traditionnelle de son pays d’Asie Centrale. De nous allécher à la simple évocation des mets de fêtes, dont le fameux pilaf. Ici encore, c’est tout un pan de la culture traditionnelle qui s’oppose à la modernité et à ses artifices.

En France, on essaye de réanimer des habitudes ancestrales, quitte à forcer un peu les traits. En surfant sur la mode du local et sur le grand retour de l’authenticité régionale. En Pologne, où l’on divise le pays en « Polska A » (occidentale, développée, urbanisée) et « Polska B (tout l’inverse !) on a l’habitude de reconnaître que les gens de l’Est du pays sont plus accueillants et chaleureux que ceux situé à l’Ouest. Que les gens des campagnes d’Europe de l’Ouest n’en prennent pas ombrage, pas plus que leurs homologues d’Afrique ou d’Amérique Latine. Aucune région du monde n’a le monopole de l’hospitalité !

L’hospitalité est une affaire sérieuse, une question de survie. N’est-il pas vital d’entretenir des relations chaleureuses, dans la vie de tous les jours, au-delà de son petit cercle intime ? Qu’il serait dangereux de ne réserver un bon accueil qu’aux gens que l’on connaît et apprécie depuis longtemps. Qu’il serait risqué de ne jouer que la carte d’une hospitalité élitiste et hyper-sélective ! Car l’hospitalité est un indice de la grandeur d’âme et de la générosité de celui qui la pratique.

L’hospitalité, comme le décrit Josef Schovanec dans son Eloge du voyage à l’usage des autistes et de ceux qui ne le sont pas assez, repousse tant de frontières, tant d’a priori ! L’auteur a réalisé de nombreux « vrais voyages », à contre-courant des stéréotypes occidentaux, loin des tour operators et des clubs de vacances. Il a pu apprécier l’hospitalité des Iraniens, poussant le vice jusqu’au Balouchistan, près des frontières afghane et pakistanaise, entre terrorisme et trafic de drogue. Comme par enchantement, l’hospitalité fait tomber bien des barrières mentales et augmente notre conscience. Une voie privilégiée pour atteindre le bonheur ?

Eloge du voyage

Aucun doute là-dessus, l’hospitalité est une affaire sérieuse. Elle réconcilie les peuples au-delà de leur origine ethnique, de leur religion, de leur classe sociale. L’hospitalité force le respect des autres, rapproche les gens sans avoir forcément à dérouler le tapis rouge, ni à mettre les petits plats dans les grands. Elle demande un effort, certes, mais que de récompenses à la clé ! L’hospitalité ne demande pas de gros moyens, ni financiers ni techniques ! Mais du temps, oui du temps, il en faudra pour la cultiver. Pour revivre l’hospitalité, faut-il nécessairement partir loin et longtemps ? Autrement dit, l’hospitalité miraculeuse des récits de voyageurs est-elle vouée à demeurer un privilège pour bobos au compte en banque bien garni ? Pas forcément, le rappelle heureusement l’auteur de Je suis à l’Est

Laurent

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