Désinvestissement et taxe carbone sont les deux visages d’un même OVNI économique. Un OVNI qui est venu déstabiliser la science économique, qui semblait vivre en autarcie, coupée du monde réel. Somnolant dans ses certitudes, depuis des décennies. Il aura suffi que des experts de l’économie commencent à mettre le « nez dehors », rejoints par certains hommes politiques peu ordinaires ou par de simples citoyens inquiets pour l’avenir de leurs enfants. Avec en tête cet impératif apparemment utopique : désinvestir des activités économiques les plus polluantes, du moins selon le critère du carbone. Rappelons que le carbone, comme l’oxygène, sont indispensables à la vie, mais que combinés sous la forme de CO2, point trop n’en faut !
DESINVESTIR OU DECROITRE ?
Après le mythe de la décroissance, qui sonnait si mal et faisait si peur, revoici le préfixe « dé », privatif de liberté économique. Désinvestir ? Voilà qui a de quoi se faire de nouveau traiter d’empêcheurs de spéculer en rond. De quoi froisser quelques uns ! A commencer par celles et ceux qui se complaisaient à croire qu’un acquis reste un acquis. Qu’une action Shell ou Total restera long temps encore une valeur sûre ! De quoi également énerver les plus ardents défenseurs de l’exploration des hydrocarbures de roche-mère, aux États-Unis, en Pologne ou en Chine.
L’éminente Harvard University désinvestit le secteur « fossile » depuis 2012. De ce côté de l’Atlantique, le fonds Stranded Assets Programme de l’université d’Oxford lui emboîte le pas. Comprendre « actifs perdus ou voués à la perte de leur valeur ». Retour aux Etats-Unis, où les héritiers de la Standard Oil ont décidé de tourner le dos à l’or noir ! Ainsi le philanthropique Rockefeller Brothers Fund a-t-il annoncé son choix de sortir du pétrole, en septembre 2014. Question à la fois de morale et de « bonne gestion ». EXXON, le rejeton oligopolistique de la S.O., n’aura pas tardé à réagir sur un ton autoritaire et dogmatique, affirmant qu’un tel mouvement n’était « pas possible ». Ça ne marchera pas… mais puisqu’on vous le dit !
350.org est une ONG qui tente d’expliquer aux zinzins (investisseurs institutionnels) qu’ils n’ont pas d’autre choix que de désinvestir des combustibles fossiles. Et de citer la petite victoire face à la Société Générale renonçant à un projet charbonnier en Australie. Ou encore la campagne victorieuse de Greenpeace contre la vente des fameuses briques et figurines Lego à effigie de Shell dans les stations-services du pétrolier. Shell qui rêve de forage pétrolier en Arctique. L’enjeu est symbolique et éducatif.
REINVESTIR
Ces actions peuvent être contagieuses, visant à empêcher l’impunité du système financier mondial et l’aveuglement irresponsable de ses clients et de tous ses contributeurs (c’est-à-dire nous tous : contribuables, électeurs et consommateurs). Une fois le désinvestissement engagé, l’étape qui doit suivre est le réinvestissement, en faveur des énergies renouvelables et de l’économie de la transition. Le bras de fer entre les « anciens » (du charbon au gaz de schiste) et les « modernes » (des géants comme Schneider Electric aujourd’hui, Tesla bientôt, Mc Phy et d’innombrables PME et start-ups) ne fait que commencer !
Aujourd’hui le monde est très loin du compte, à l‘image confuse de ces géants au-dessus du lot économique, qui jouent un double jeu. A l’instar de BP qui est passé de « British Petroleum » à « Beyond Petroleum » (archétype de « green washing ») tout en continuant allègrement à épuiser les ressources et à fournir le monde entier en hydrocarbures, cette sève de l’économie moderne, façon « business as usual ». Areva a également brillé, au niveau mondial, par sa judicieuse diversification dans la « green energy ». Tandis que la France et la Grande-Bretagne ne semblent plus trop savoir où aller, l’Allemagne vise l’exploitation de la plus grande mine de charbon d’Europe. Son voisin oriental, la Pologne, poursuit l’exploitation de ses réserves carbonées et rêve au gaz domestique, pour mieux tourner le dos à la méchante Russie. Partout dans le monde, l’inertie des grands acteurs de l’énergie, publics ou privés, a de quoi décourager les plus optimistes !
On peut s’interroger, douter de l’efficacité de ce mouvement de désinvestissement, au vu de la puissance des lobbies, ces empêcheurs de réformer le système. On peut aussi, passivement, attendre que le mouvement grossisse et devienne publiquement légitime. Ceci avant, d’une manière ou d’une autre, de « prendre le train en route ». En a-t-on vraiment le choix ?
Déjà de nombreuses villes réinvestissent les transports en commun et militent pour le co-voiturage sont autant de « voies d’avenir », prônant des solutions alternatives à l’automobile et au tout-pétrole. Pour conjuguer qualité de vie et santé, et préparer l’avenir. Jardins partagés, paniers bio et circuits courts vont aussi dans ce sens. Ainsi désinvestissement et réinvestissement sont absolument inséparables. Question d’efficacité et de pédagogie.
CORRECTION
Le désinvestissement apparaît comme une chance, en s’attaquant au cœur même du système nerveux du capitalisme financier . Ce machin « hors sol », déconnecté des réalités physiques, qui mériterait une « bonne correction » comme on disait avant… Le moment historique est venu, mais il nécessite et nécessitera beaucoup d’actions, et une mobilisation citoyenne partout dans le monde, dans les « pays du Nord » et dans ceux du « Sud ». Et bien plus que de belles déclarations façon Jacques Chirac (« la maison brûle… ») et consorts. Car s’il n’est « jamais trop tard pour bien faire ». D’ailleurs chacun s’accorde à admettre que l’inaction a un prix. Dans le business, ne parle-t-on pas de pénalités de retard ?
Laurent