Dans quelques décennies, il y a fort à parier que nos descendants resteront bouche bée face au récit de notre « lutte contre le chômage ». Quel sera leur étonnement face à notre promotion acharnée de solutions élimées et si peu efficaces ! Face à des idées si peu courageuses et tellement enrobées dans de grands slogans publicitaires ! Peut-être, si les historiens font encore leur boulot, découvriront-ils qu’en parallèle à ces plans antichômage, de nombreux observateurs, en-dehors du champ des caméras, dénonçaient paradoxalement la « préférence nationale » d’un pays comme la France « pour le chômage ». En fouillant un peu plus dans les archives, ils découvriront la persistance d’inégalités en matière d’accès à l’éducation supérieure, un « ascenseur social » longtemps en panne. Ils s’étrangleront face à l’étrange coexistence de deux marchés du travail, l’un sécurisé, l’autre précarisé… Enfin, lorsque nos descendants jetteront un coup d’œil hors des villes – ô surprise ! – ils verront qu’à notre époque les campagnes s’étaient vidées de leurs occupants !
Car nous avons laissé disparaître l’agriculture traditionnelle, la paysannerie, au profit d’une concentration des exploitations par le biais de leur industrialisation. La faute à notre tendance irrépressible à tout vouloir faciliter, à simplifier la tâche ? La faute à notre goût immodéré pour la modernité et la technologie ? La faute à la bourse des matières première de Chicago, au modèle intensif plus intéressé par les volumes que par la qualité intrinsèque des récoltes. L’Europe et sa « PAC » dénigrant l’agriculture à taille humaine au profit des fermes-usines.
Une chose est sûre, les générations qui passeront après nous constateront que, dès le début du XXème siècle si ce n’est avant, le progrès technique a envahi les champs et détruit des millions d’emplois. Autrement dit, du fait de la mécanisation et des intrants chimiques, le métier d’agriculteur, de celles et ceux qui « nourrissent le monde », est devenu incroyablement sobre en main d’oeuvre ! Tout en générant son lot de toxicité, du champ à l’assiette. Mais urbanisation oblige, nous avons été aveuglés par ce qui se passait dans les usines du monde entier, entre mécanisation, robotisation et délocalisations. Bizarrement, nous sommes restés conscients de ce qui se passait dans l’univers de l’industrie, alors que nous refusions de voir ses effets délétères sur le monde rural. Tout semble avoir été fait pour donner l’impression, des bancs de l’école jusqu’au marché du travail, que le milieu rural était devenu une autre planète, un monde sans grand intérêt !
Nos descendants constateront peut-être qu’au début du XXIème siècle, nous avons « touché le fond » en matière de destruction d’emplois comme en matière d’immobilisme politique ! Mais la vraie question est la suivante : s’agissait-il d’un sincère aveu d’échec et d’impuissance ? Ou bien un simple « passage à vide », entretenu par la « pensée unique », les dogmes économiques…bref l’irresponsabilité d’une certaine oligarchie détachée des problèmes du chômage ?
La fin du chômage n’est peut-être pas qu’une chimère, si on se donne la peine de reconsidérer les crises alimentaires couplées aux crises sanitaires et environnementales ! Si l’on arrête aussi de voir le glissement vers le secteur des services et l’immatériel comme la seule voie d’avenir… Nul n’est mieux placé que l’homme lui-même, avec ses capacités d’apprentissage, son sens du compromis entre innovation et écoute des savoirs-faire ancestraux. L’intelligence humaine, le travail en réseau, aident des continents entiers (comme l’Afrique) à développer une autre forme de production agricole. Une production qui nourrit le corps et l’esprit, qui redore le blason d’un métier qui profiterait aussi au maintien de l’emploi et à l’enracinement de l’économie. Retour en France. Après les bergers du Larzac soixante-huitards, gentiment renommés « néoruraux » et rêvant d’un retour à la nature, les néo-paysans intriguent. En quête de valeurs et de sens, leur projet est à la base bien plus individuel ou familial que collectif ou communautaire. Gaspard d’Allens et Lucile Leclair, auteurs des Néo-paysans, nous éclairent en tout cas sur cette tendance porteuse d’espoir. Ces jeunes et moins jeunes travailleur de la terre ont choisi de s’éloigner de l’agro-industrie.
Il n’en demeure pas moins que le métier de paysan a été dénigré et dévalorisé pendant plus d’un demi-siècle. Que le nombre d’exploitations a fondu comme neige au soleil. Et que, pour couronner le tout, le monde agricole est un dépressif chronique, face à l’amer constat de sa précarisation. Qu’à cela ne tienne ! Et « nos » chômeurs, alors ? Sur nos cinq millions de chômeurs français, combien accepteraient de retourner aux champs ? A-t-on chiffré les besoins en main d’oeuvre afin d’assurer notre sécurité alimentaire de façon pérenne ?
N’en déplaise aux amateurs de science-fiction, l’urbanisation galopante n’offre pas assez de perspectives d’emploi. Arrêtons un instant de nous fourvoyer : ce ne sont ni les robots ni les imprimantes 3D qui sauveront la mise sur le marché de l’emploi. L’histoire n’est pas écrite d’avance, et qu’un peu partout fleurissent des territoires en transition, villes et villages compris. Puisque la mode du local nous revient comme un boomerang et que se développe une consommation plus responsable voire durable, et si le retour à la terre était une piste sérieuse ? Pour enfin inverser la courbe du chômage !
Laurent