Dans un CV, le bilinguisme est un peu la « Rolls » de la rubrique Langues. Il fait rêver tout franchouillard monolingue qui, de temps en temps, se rêve maîtrisant une langue étrangère. Il console les parents qui gardent en eux le regret de ne pas s’être mis plus tôt aux langues étrangères, d’avoir manqué le « déclic » étant plus jeunes… A commencer par l’anglais ! Ah cette langue de Shakespeare, perfide avec ses faux amis, son accent incompréhensible et ses intonations déroutantes. Cependant, selon où il vit, le bilingue est soit un zèbre (en France, au Japon ou dans le Kentucky), soit un être tout ce qu’il y a de plus normal (au Québec, en Belgique, en Suisse).
Pourquoi ce statut si spécial en France ? Que sait-on au juste du bilinguisme ? Comme on ne peut artificiellement séparer la question linguistique de la question culturelle et même affective, y a-t-il des facteurs clés de succès, pour qu’un enfant vive convenablement l’aventure du bilinguisme ?
En France, terre jacobine, la chasse au bilinguisme a été organisée par les pouvoirs publics, au nom de la centralisation et de la grandeur nationale. Que voulez-vous ? A une époque, il a bien fallu imposer le français comme seule langue officielle. Il n’est pas étonnant que les français, aujourd’hui encore, éprouvent quelques difficultés à émerger dans la pratique des langues étrangères, voire à envisager le bilinguisme. Certes, de grands efforts ont été entrepris pour promouvoir l’apprentissage des langues étrangères, de réformes en programmes d’échange dans le secondaire et dans le supérieur… Dans le même temps, la francophonie est là pour veiller au grain, organisant la promotion de la langue et de la culture française dans le monde. Certains auteurs francophones d’origine étrangère la critiquent parfois, notamment des relents de nostalgie, du temps où cette langue régnait un peu partout autour de la planète.
Au plan scientifique, longtemps le bilinguisme a été pensé comme un phénomène complexe, un état jugé instable, voire néfaste ! On a d’abord étudié les capacités d’apprentissage des enfants bilingues, dans les années 1920, au Canada, en Belgique et en Irlande. Ces études, suspectées d’être biaisées, ont pu cependant prouver un relatif handicap chez ces enfants (retards d’apprentissage, résultats scolaires inférieurs, voire des problèmes d’ordre sociaux. En fait, ces études partaient du principe (très discutable) que la capacité d’apprentissage linguistique serait une constante, et que donc, au mieux, un enfant dit « bilingue » ne serait jamais plus apte que deux « semi-lingues » !
Plus tard, d’autres études auront démontré le contraire : que les enfants bilingues seraient dotés d’une flexibilité cognitive accrue, qui se traduiraient par une plus grande performance y compris au plan scolaire, grâce à leur capacité de manier des systèmes symboliques différents. Chaque enfant étant différent, tant au plan inné qu’acquis, on se devait d’élargir la question du bilinguisme aux circonstances dans lesquelles l’enfant est devenu, peu à peu, bilingue. L’âge auquel l’enfant est exposé à une autre langue est assez décisif. Deux cas de figure apparaissent : soit les parents parlent la même langue, et dans ce cas la maîtrise de base de la langue maternelle sera facilitée, pouvant faciliter l’apprentissage d’une deuxième langue… soit les parents parlent une langue différente, ce qui constitue à la fois une chance et un défi supplémentaire pour l’enfant, générant parfois un retard d’apprentissage. Retard qui n’a rien de dramatique pour autant.
Enfin, l’attitude des parents et leurs choix scolaires pour leurs rejetons ont un impact déterminant. Car les enfants sont particulièrement sensibles au modèle, aux habitudes liées à l’usage d’une ou de plusieurs langues à la maison. Dès le plus jeune âge, les enfants perçoivent si une langue domine à la maison, ou si au contraire plusieurs langues viennent se juxtaposer, au gré de la présence d’autres membres de la famille (monolingues ou non) ou d’amis (imposant parfois, épisodiquement, le recours à l’anglais comme compromis). Dans le cas d’un exil ou d’une expatriation, quels rapports entretiennent les parents avec la communauté locale ? En cas de rejet ou de refus des parents d’apprendre la langue locale, celle-ci sera, pour l’enfant, la première victime. Au contraire, si la famille valorise la langue parlée par la communauté, l’enfant aura bien plus de chance de se l’approprier !
Laurent
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