Nous avions la possibilité de travailler moins et d’être plus heureux. Mais plutôt que de se libérer du temps, nous avons privilégié – priorisé – la « valeur travail ». C’est en substance ce que constate David Graeber, cet anthropologue américain exilé en Grande Bretagne – et notoirement militant d’Occupy Wall Street. En étudiant le phénomène des « jobs à la con », c’est toute la question de l’utilité économique et sociale du travail qui est en cause. En cause, un paradoxe du capitalisme, sensé éliminer, selon les lois du marché et de la concurrence, tout travail inutile.
Mais voilà que le capitalisme s’est mis, à son insu, à reprendre les vieux travers de l’économie planifiée. Bienvenue dans la bureaucratie à tous les étages, tant dans la sphère publique que privée ! Avec toute une série de « jobs à la con », des avocats d’affaires aux livreurs de pizza nocturnes en passant par les animateurs du Web.
Peut-être parce que la nature ayant horreur du vide, il fallait bien renouveler les métiers, suite à la disparition de millions d’agriculteurs, d’employés et d’ouvriers ? La « faute » à la technologie (mécanisation, robotisation, délocalisations). Puisque rien ne semble avoir arrêté le progrès technique et l’innovation, personne ne s’est vraiment posé de question sur le bienfondé de tel ou tel métier !
Qualitativement, le compte n’y est pas pour toute une série de métiers, envahis par des tonnes de paperasse (pensez aux infirmières), de procédures iniques dignes du socialisme flamboyant. Comme l’écrit Graeber dans Bullshit jobs : « peu importe ce que vous pensez des infirmières, éboueurs ou mécaniciens, s’ils venaient à disparaître, les conséquences seraient immédiates et catastrophiques. Un monde sans enseignants ou dockers serait bien vite en difficulté, et même un monde sans auteurs de science-fiction ou musiciens de ska serait clairement un monde moins intéressant. »
Et de poursuivre : « d’un autre côté, difficile de savoir comment réagirait l’humanité face à la disparition des PDG, lobbyistes, chercheurs en relations publiques, télévendeurs, huissiers de justice ou consultants légaux (beaucoup pensent qu’elle s’en porterait largement mieux). » Mais au-delà de la question du sens et de la valeur travail, un mystère persiste au plan quantitatif. La quantité d’heures que nous dédions au travail semble sans limite, alors que la technologie a largement amélioré notre productivité horaire. Nous devrions donc avoir économisé beaucoup de temps, or il n’en est rien.
Mais au final, dans un monde individualiste et libéral, l’arbitrage travail-temps libre est dicté par… nous mêmes. Nous définissons nos propres préférences économiques. Nous entretenons un sentiment permanent de culpabilité, comme si se libérer du temps était une trahison tant envers notre entourage qu’envers la société dans son ensemble. Il est assez clair que dans ces conditions, les « jobs à la con » n’ont pas fini de croître !
Laurent
la valeur travail… à redéfinir! parce que ça me semble plutôt être « la valeur ‘occupationnelle’ d’une activité dite professionnelle » que l’on devrait l’appeler!!!