« c’est ajouter au malheur de ce monde » disait Albert Camus. L’un des sports nationaux de nos médias consiste, à longueur de temps, à nommer les choses, caractériser les faits, dénombrer victimes et coupables ou coupables présumés. Des données d’apparence factuelles et des qualificatifs à forte portée symbolique.
Nommer brutalement pour interpeler, émouvoir, sidérer, capter l’attention du public. Nommer les choses, c’est un réflexe d’hommes ou de femmes pressés, auquel nul journaliste n’échappe, immédiateté oblige ! Car il faut faire vite avec l’actualité. Cette course à l’audience est une course à l’échalote. Et l’on confond vitesse et précipitation. Le délai, la vitesse d’exécution, la réactivité face aux événements comptent plus que la qualité de l’information et de son traitement. Que faire alors ?
Mais il y a pire que de mal nommer un objet ou une chose. Mal nommer les gens. Nous avons pris l’habitude, avons cautionner l’usage public des termes de « racaille », de « voyous », de « fondamentalistes » et autres « extrémistes ». La fabrique de l’ennemi nous pousse à une inflation de qualificatifs toujours plus incisifs. On étiquette les gens, peut-être nos voisins, peut-être un collègue. On étiquette comme du temps où l’on étiquetait telle ethnie, telle religion ennemie, tel peuple « inférieur »…

Qu’on se rappelle du camp des gentils (les « je suis Charlie ») et de celui des méchants (les neutres, les absents du mouvement de solidarité aux victimes), à l’époque des attentats… Qu’on se rappelle, plus récemment, du camp des vaccinés et celui des « antivax ». Et pour ne rien oublier, qu’on n’oublie pas le terme de gilets jaunes, de black blocs. Et aujourd’hui, évidemment, le terme d’émeutier. Car c’est bien connu, il est des émeutiers comme des cantonniers, des chiffonniers… et autres vieux métiers !
Évidemment il ne s’agit pas d’interdire quelque qualificatif qui soit. Rien ne peut d’ailleurs empêcher cet irrépressible de qualifier les gens, surtout les autres, ceux à qui on ne souhaite pas ressembler ! Mais il faut l’admettre : ce n’est pas cet usage immodéré des termes « racaille », « antivax » et autres « émeutiers » qui fera avancer le débat et la compréhension collective de tel ou tel problème de société.
On attribue aussi à Camus cette citation : «La logique du révolté est… de s’efforcer au langage clair pour ne pas épaissir le mensonge universel.» C’était en 1951. Soixante-treize ans plus tard, on peut encore affirmer qu’il reste beaucoup d’efforts à faire dans ce domaine ! Pour finir, certains auteurs ont par le passé usé d’une autre étiquette, à l’endroit non du vilain peuple mais d’une fâcheuse tendance qualifiée de… terrorisme intellectuel. A méditer, sans tomber dans la paranoïa !









