Eh bien râlez, maintenant !

Une certaine bienpensance, née probablement de notre éducation, nous a donné certaines habitudes. Comme celle de vouloir se taire, face aux autres. De ne pas vouloir faire trop de vagues. De souvent, aussi, réfréner nos pulsions, notamment face à une injustice. Partant du principe qu’il ne faudrait quand-même pas exagérer. Ainsi donc, se plaindre, c’est mal vu. Alors nous nous sommes programmés pour ne pas trop hausser le ton. Programmés pour relativiser. Et même ronger son frein, des années durant.

Mais tout à coup, telle une levée d’inhibition, on se redresse. Certains l’ont fait pour Charlie. D’autres l’ont fait pour une cause climatique, ou hospitalière, ou pacifique, etc. D’autres le font ou le feront pour une cause les touchant plus directement, dans leur métier, leur secteur d’activité.

Parfois on a été traité d’inconscient, de doux rêveur, de jamais content. Grèves et manifestations sont ringardisés comme le béret basque et la mauvaise baguette. Mais il arrive aussi que l’on n’ait fait qu’écouter sa voix intérieure. Faisant fi des procès d’intention, des pronostics pessimistes. Évitant l’influence des commentaires familiaux ou ceux de la classe commentatrice.

Et si râler servait à quelque chose ? Hormis les vertus thérapeutiques de l’expression de ses sentiments, et si râler était comme un cri de guerre, un appel à la solidarité ? Mais non, vous diront les anciens. Au boulot… sinon rien. Car comme le disaient les Russes sous Lénine, qui ne travaille pas ne mange pas ! Recyclant un verset du Nouveau Testament. Aujourd’hui encore, dans tout rapport de force, les dirigeants l’ont bien compris. Le temps joue pour eux, car le temps c’est ou ce serait de l’argent perdu.

Et pourtant, pourtant la liberté d’expression et la liberté d’opinion sont, historiquement, des forces invincibles. L’énergie collective est ravageuse. Et face à cette déferlante, les élites vivent dans la crainte permanente du soulèvement populaire. Les postures autoritaires n’y feront rien, voire donneront encore plus d’élan aux plus énervés. Dur métier !

Dans le même temps, on peut collectivement compter sur le sens du service et la conscience professionnelle des uns et des autres, pour éviter la panne sèche. Ceci est particulièrement palpable auprès de ces vocations autour, par exemple, du soin ou de l’éducation. Des milliers d’employés peu visibles et assez peu rebelles au fond. Ainsi traînent et traîneront encore les injustices. Tant que le sens du service, orienté vers l’autre, l’emportera sur le râle intérieur…

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