Qu’on se le dise : les émotions sont puissantes. Nos émotions sont souvent bien plus fortes qu’on ne le croit. La vie est ainsi faite que l’on est confronté à des situations inattendues, qui ouvrent la boîte de Pandore émotionnelle. Parfois tout bascule et l’incertitude règne, voire le chaos. Un chaos vertigineux, déstabilisant. Irrationnel ?
On parle souvent de « se remettre de ses émotions ». A croire que les émotions seraient devenues excessives. Un peu comme un dérèglement, voire une maladie (attention à bien savoir « gérer ses émotions » !) Mais soyons un peu raisonnables : peut-on vraiment s’en remettre, lorsqu’une émotion est si intense ? Nous affrontons alors autant un problème d’intensité de l’émotion mais aussi de multiplicité des émotions. Peur, dégoût, tristesse, etc. Auxquelles viennent immédiatement se greffer les sentiments d’incompréhension, d’insécurité, voire la volonté d’oublier, de rentrer dans le déni ! Le chaos…
Hier nous avons assisté à un accident. A Chamonix, enfin… bien au-dessus. Un « banal » accident en haute-montagne, comme il en arrive presque à chaque minute – comme en atteste le ballet des hélicoptères. Nous avons été aux premières loges d’un accident… par nature si imprévisible et si soudain que sa survenue a comme court-circuité notre raisonnement logique, notre « intelligence supérieure ». La confusion a démarré à la vue de ces deux « objets volants » non identifiés car arrivant trop vite et puis… plus rien, la chute.
Subjugués, pris en étau entre le devoir de porter secours et le risque (omniprésent ? la preuve vient de nous en être donnée !) d’en être nous-même les prochaines victimes (courage, fuyons !!!)
Notre mémoire, gavée de vidéos en tout genre – dont ce « waouh » quotidien de sports extrêmes et autres accomplissements « de folie »- nous donne à croire que tout ou presque, dans la vie, est « under control« . Rêve immature, admiration exagérée des héros (réels ou non). Cette construction ex nihilo reste gravée dans notre mémoire collective !
Et dans cet imaginaire, les accidents s’il y en a sont nuancés, décrits avec humour (des gags plus ou moins gros, mais pourvu que l’on prenne cela pour quelque chose de léger et sans conséquence). Et pour les sceptiques ou les inquiets, peu friands de transcendance par le rire, prière de se rendre aux rubriques nécrologiques et autres faits divers. Rideau !
Dans une société du spectacle, nous recevons bien souvent une interprétation fictive. C’est donc la version du divertissement qui emporte la mise. Au nom de cette distinction salvatrice (ouf !) entre la fiction et la réalité, notre cerveau rationnel reprend la main. Rions tous en cœur, c’était du chiqué, du simulé ! Gag ou thriller, c’est du pareil au même. Pourvu que nous soyons bien au chaud dans la bulle virtuelle, loin du monde réel. Circulez, reprenez une vie normale, et en avant toute…
Par contre, si l’accident – en ville ou à la campagne, de voiture ou de tout autre moyen de transport, à commencer par nos deux jambes – est bien réel, s’il a vraiment eu lieu sous nos yeux (et non via un média, quel qu’il soit), alors nous allons devoir « faire avec ». Pour s’en remettre, certes, mais sans tout oublier. De toute façon il ne nous est pas possible de l’effacer de notre mémoire, à moins d’intenter à l’intégrité de notre mémoire (individuelle et collective, ce qui complique un peu la tâche).
Alors il va falloir composer. Composer avec soi-même, ses craintes et ses envies, ses pulsions de vie et de survie. Retrouver un équilibre après avoir cru perdre tout contrôle. Retrouver aussi l’harmonie dans son entourage, trop conscient du danger (« tu vois, je te l’avais dit »…) Curieux de comprendre, on ne saura s’empêcher d’essayer d’imaginer, par hypothèses successives, ce qui a bien pu causer l’accident. Ultime effort pour se donner le sentiment, l’impression, de retrouver un minimum de contrôle sur les choses, les gens, soi-même !
Mais si certains disent que « la vie est un accident », faut-il en conclure que ces gens-là sont vraiment dépourvus de sensibilité, leurs émotions à l’index ? Ou bien qu’en passant à « l’âge de raison », ils ont tout compris ?










