– Père Noël, bonjour !
– Bonjour Laurent.
– Merci de nous accueillir chez vous, en plein rush. Alors Père Noël, cette interview est certainement la première du genre. Nous ne parlerons pas de chiffres, ni de logistique. Aujourd’hui nous avons l’immense privilège de discuter de votre autobiographie que vous allez publier début 2015.
– C’est bien ça.
– Père Noël, le moins qu’on puisse dire c’est que vous avez pris votre temps !
– C’est vrai, j’y avais un peu pensé à la fin des années 1970. Le monde était tellement perturbé et je m’étais senti comme un devoir envers vous tous. Mais de procrastination en procrastination, quarante années ont filé. Toujours cette routine et toutes ces sollicitations du monde des affaires. J’ai fini par culpabiliser vis-à-vis de tous mes fans et ex-fans.
– Père Noël, depuis que vous êtes de service, vous n’aviez donc jamais pris le temps d’écrire ?
– Jamais publiquement, en plus de deux siècles d’activité. Comme dirait ma femme, je suis monotâche !
– En tout cas, au vu de ce livre que j’ai lu en avant-première, vous ne faites rien à moitié, Père Noël. Sans pudeur, vous revenez sur vos peines et vos joies. Vos colères aussi, parfois. On découvre d’autres facettes de l’icône que vous êtes…
– Vous savez, ma mission a démarré avec l’effervescence de la révolution industrielle. Avant, je n’étais qu’un homme des bois, en Laponie.
– Je reconnais bien là votre modestie. Sans trahir un secret, on peut avec certitude avancer que le Père Noël est le plus beau cadeau, le meilleur remède qu’on ait jamais inventé pour préserver la paix sociale dans les familles.
– Arrêtez, vous allez me faire rougir. Ne le suis-je pas assez comme cela ? Et dire que j’ai toujours préféré la couleur verte.
– Pourriez-vous nous donner quelques nouvelles de vos rennes ?
– Avant je dois vous dire que ma voisine, Dame Nature, qui ne souhaite plus répondre aux journalistes, est très énervée. Elle vient d’être déboutée par la Cour de justice internationale, suite à sa demande de révision calendaire.
– Pour nos lecteurs : vous devez faire allusion à son souhait de modifier le nombre de saisons et leurs dates respectives, dans un but pédagogique envers les jeunes générations.
– Oui, tout à fait. Si vous permettez, je crois que c’est scandaleux. Voilà une preuve supplémentaire du refus qu’ont les hommes notamment en haut lieu, de voir la réalité en face. Quel déni historique ! Mais foi de Père Noël, les citoyens de base que je connais bien ne se laisseront pas berner.
– Euh… si vous le dites, Père Noël. Pourrait-on revenir à vos chers rennes ?
– Je m’emporte, c’est la fatigue, et vous savez ce qui m’attend le 24 au soir. Alors mes pauvres bêtes, depuis dix ou vingt ans elles ont un peu perdu le Nord. En hiver elles mangent moins facilement. Elles s’épuisent à marcher dans la neige lourde. Avant la neige était poudreuse, légère. Mais figurez-vous qu’avec ce grand chamboulement atmosphérique, il faudra bientôt que je déménage plus au Nord. Pourtant ni ma femme ni moi n’avons envie de quitter la Laponie. On a tellement d’amis ici…
– Alors justement, quoi de neuf à Rovaniemi ?
– Le village a bien changé. Avec tous ces touristes, que voulez-vous ? C’est la rançon de la gloire. Alors bien sûr c’est devenu une vraie ville, on peut y croiser de faux « Santa » jour et nuit, à tous les coins de rue. Je me demande toujours comment font les enfants pour continuer de croire au Père Noël ??
– Et vos enfants, Père Noël ? Vous en avez trois, je crois. Comment vont-ils ?
– Ils vont bien, merci. Avant j’étais un peu inquiet de les voir comme d’éternels adolescents. Ils étaient très investis professionnellement. Très attentifs à leur réussite matérielle. Franchement, je ne les reconnaissais moins quand ils étaient devenus un peu superficiels. Mais vous savez, selon eux je me suis tué à la tâche, sans savoir m’arrêter pour profiter de la vie ! Les générations se suivent et bien souvent s’opposent. Mais je ne sais pas ce qui s’est passé dernièrement, ils ont tous les trois changé. Ma fille aînée semble avoir quitté l’adolescence pour passer à l’âge adulte. Pour mes fistons, c’est un peu plus difficile, un psy dirait qu’il leur faut « tuer leur père » pour grandir !! Oh mais, dites, vous n’allez pas publier ça, hein ?
– Père Noël, ne craignez rien.
– Vous êtes jeune, vous n’avez pas idée de tout le bien mais aussi tout le mal causé par mon métier de Père Noël. Je vois bien chez les jeunes gens aujourd’hui. Ils sont désenchantés, démobilisés. Comme mes rennes, la jeunesse a perdu le Nord ! Alors je veux que leurs parents, souvent d’anciens enfants gâtés, arrêtent de jouer les assistés ! Qu’ils se retroussent les manches, montrent l’exemple et me donnent un coup de main.
– Vous pouvez compter sur nous, Père Noël, pour faire passer le message. L’heure tourne. Un dernier mot pour tous ?
– Je vous souhaite à tous et à toutes de bonnes fêtes de fin d’année. En famille, c’est si important ! Ou entre amis !
– Merci du fond du cœur, Père Noël, pour votre disponibilité, votre générosité. Et pour toute cette sagesse à découvrir en lisant votre autobiographie qui sort prochainement.
Laurent, notre envoyé spécial en Finlande