Vous avez quinze minutes. C’est parti, à vos stylos, stylets ou tablettes…
Non, pas un dimanche de premier tour de campagne électorale quand même ! A la sauce locale des municipales, certains pourraient nous refaire le coup du Moyen-Âge, de ses magnifiques remparts et autres protections contre les visiteurs belliqueux et autres marchandises aux origines douteuses. Ah non, pas de retour en arrière ! A l’heure de la mondialisation, avec l’aval de la pensée dominante héritée de longue date, le débat pourrait naïvement s’arrêter là. Et puis n’a-t-on pas, comme jadis avec la création de la SDN et de l’ONU, enfoncé le clou avec le GATT puis l’OMC ? On a signé, quoi ! On avait dit aux collègues mondiaux : arrêtons de nous taper dessus et commerçons ! Tout ira mieux demain. Et tout, ou presque, a effectivement été mieux. Moins d’intolérance, de guerres. Moins de violence faite aux autres. Plus de richesse ou d’impression de richesse, avec la vague consumériste adossée au crédit. Le problème s’est déplacé ailleurs : creusement des inégalités, hausse générale du coût des études supérieures, ascenseur social grippé, chômage persistant, pouvoir d’achat ressenti comme stagnant… et perte de sens mêlée d’un sentiment que « tout va trop vite » ! L’écroulement du mur de Berlin a sonné la fin de la récré et le top départ de l’accélération du libre-échange, notamment pour le duo Allemagne-Chine, profitant des liens de l’ex-RDA, à moins que ce ne soit ces derniers qui aient contribué à faire vaciller le mur !! Mais depuis, les crises boursières, économiques et environnementales se sont amplifiées, révélant au grand jour notre fragilité et notre interdépendance.
En cherchant bien, il est aisé de dresser autant d’arguments pour le protectionnisme que pour le libre-échange. Tel système favoriserait la croissance économique, donc l’intérêt privé, tandis que l’autre permettrait de mieux sauvegarder l‘intérêt général. Et la défense de la diversité culturelle. Tel système renforcerait le rapport de force des états et des entreprises, leur concurrence presque « physique » au profit évidemment des plus forts (grandes nations industrialisées ou grands émergents, multinationales de tout poil, au détriment des autres). La loi du plus fort, en quelque sorte. Tel autre, par le biais des normes, favoriserait l’accroissement du bien-être, de la santé, de la protection sociale et environnementale. La rivalité et la lutte ou la coopération et l’harmonie. Peut-on croire encore en cet espoir un peu fou d’un appel à la raison, d’un progrès vraiment positif et partagé ? Ou enterrer définitivement tout mythe égalitaire ou, du moins, équitable ? Un consensus pour la qualité avant la quantité (protéger c’est réduire le choix !) et tant qu’à faire, se diriger vers le paradoxal développement durable ? Parlons-en à nos partenaires commerciaux… mais pas uniquement commerciaux, justement !
Bien que souvent pratiqué par toutes les nations concurrentes, le protectionnisme est mal aimé, mal vu. Protéger, ce serait tricher, exagérer. Comme une mère de famille frileuse qui surprotégerait ses bambins ! Comme une nation cachottière et centrée sur elle-même, méfiante de l’autre. C’est la vision fataliste du repli, après les excès du laxisme économique. Tournons la page du XXème siècle et de l’autarcie, protectionnisme débile et archaïque de certains. Arrêtons de simplifier. Le protectionnisme a différents visages : tarifaire ou non tarifaire, temporaire et dégressif ou permanent et progressif, à l’image des normes antipollution Euro 1 (1993) à 6 (2015) pour les automobiles ou de la norme REACH. Dans un monde parfait, au rapport de force équilibré (lobbies) et en l’absence de passe-droits et autres dysfonctionnements, dans un monde sans dictature du court-terme et des profits des investisseurs affamés, sans suspicion systématique envers les pouvoirs publics, alors nous pourrions envisager d’éliminer toute forme de protectionnisme. Les états rendraient les armes, spontanément ! Rêve de banquier d’affaires ou lubie maçonnique ? En attendant, le protectionnisme demeure une arme politique pour rassurer les citoyens sur l’avenir (contrôle de l’incertitude), et envoyer un signal aux partenaires étrangers. Une arme diplomatique pour montrer l’exemple. Un rempart moderne à la dilution de la souveraineté, protégeant avec les moyens du bord la liberté des peuples (face au totalitarisme ultra-libéral globalisé, citoyen-d’aucun-monde, qui n’a que faire des nations). Avant que ne débarque l’arlésienne de la gouvernance mondiale, bien sûr.
Enfin, le protectionnisme d’un état ou d’une zone économique stratège (comme l’Union Européenne si elle en avait la clairvoyance, la discipline et le courage) pourrait permettre à ses jeunes pousses de s’éclore et se développer dans les meilleures conditions avant d’essaimer, sous quelque forme que ce soit, dans le reste du monde. Ce qui fonctionne, comme nous le rappellent sans cesse les pôles de compétitivité et autres incubateurs. Sans oublier l’agriculture et l’artisanat local. A moins que l’on ne préfère jouer la carte de l’ouverture totale, pour le bien de tous, à la manière d’un logiciel libre, d’une imprimante 3D ou d’un smart grid sans technologie « propriétaire » ? Au fond, entre autarcie totalitaire et liberté sans limites, où se trouve le « juste milieu » ?
Laurent