L’histoire est bien connue : vous découvrez une ressource rare et chère quelque part dans votre sous-sol et…bingo ! A l’image de ceux qui ont gagné au loto et finissent trop souvent ruinés, seuls et finalement assez tristes, à l’échelle d’un pays ou d’une région, la dépendance à une ressource abondante chez soi et rare ailleurs, tend à faire perdre la raison tant aux responsables politiques qu’aux concitoyens. L’argent coule à flots, la routine s’installe, les esprits s’endurcissent et s’enferment dans des certitudes. L’intolérance au changement paralyse. Selon Philippe Chalmin, spécialiste de cette question, « les âmes et les coeurs sont corrompus ». Les exemples du Vénézuela ou de la Russie sont probants. Le retour en force de l’Amérique arrogante, comme l’atteste une récente injonction d’Obama aux européens au sujet du gaz, nous ramène à cette malédiction. La Norvège est la principale exception qui confirme la règle de la malédiction. C’est que même le Canada, à y regarder de plus près, avec ses sables bitumineux au coût économique, social et environnemental faramineux, est assez mal placé pour prétendre à la claivoyance et à une quelconque « gestion durable ». Et ne parlons pas de la position conservatrice de Washington, n’en déplaise à Amory Lovins, Jeremy Rifkin, ou Elon Musk.
Insanity is doing the same thing over and over again, and expecting different results ». Albert Einstein.
Le goût de l’effort, espèce en voie de disparition, a laissé sa place aux « solutions de facilité« , issues de secours à courte vue ! Nous pouvons compter sur la technoscience pour nous apaiser et une fois de plus, nous endormir : rassurez-vous, nous ne manquons ni de réserves, ni de nouvelles technologies. Laissez faire les « pros ». L’exemple terrestre du gaz de schiste et du débat stérile sur ses techniques d’extraction, ou déjà son cousin sous-marin l’hydrate de méthane, nous rappelle qu’il faut surtout « circuler, y a rien à voir ! » Les exemples se multiplient d’annonces de puits non rentables, de technos pas au point, d’investisseurs qui se retirent après avoir promis la lune aux élus. La malédiction nous poursuit, à mesure que nous faisons « comme si de rien n’était ». Il y a 20 ans, l’Ukraine et la Pologne disposaient du même niveau de richesse par habitant. Aujourd’hui la Pologne est trop fois plus riche per capita que son voisin oriental (20900$ contre 7500$ en PPA en 2012)* La manne énergétique Russe aura bien profité aux oligarques voisins. Ils se sont goinfrés au passage, tels des prédateurs, en complaisance avec les empires Gazprom et Rosneft. Pendant ce temps, la Pologne s’efforçait de diversifier et de moderniser son économie et son organisation sociale, sans se laisser enfermer dans telle ou telle voie aisée ! Moins vorace, plus démocratique.
Mais il ne faudrait pas trop vite jeter la pierre à quelques pays, soigneusement sélectionnés, pour confortablement dédouanner tous les autres. Les idées simples et autres petits arrangements avec la réalité a fait faire d’autres erreurs stratégiques. Nous en payerons longtemps l’addition. Les « fausses bonnes solutions » nous sont promises avec moults arguments populistes à la clé. En France, pays d’ingénieurs si jacobin, dont les lobbies n’ont jamais été inquiétés par la loi Le Chapelier de 1971, les choix radicaux (tout nucléaire par ici, tout diesel par là, tout électricité, tout agro-industrie) sont toujours des bombes à retardement pour notre santé ou celle de nos portefeuilles. Idem outre-Manche, où l’excessive dépendance du Royaume Uni vis-à-vis de la City (haut lieu de placement de nos meilleurs jeunes diplômés lassés par les perspectives de l’industrie) et de ses financiers donne au politique les mêmes réflexes court-termistes et empêche toute vision stratégique cohérente. Tôt ou tard la réalité rattrape le politique. Une crise ou une affaire en remplace une autre. Désaveu pour les représentants élus, perte de crédibilité pour la démocratie, crise de confiance. La république de Platon, éclairée par ses Philosophes, reste à réinventer.
Comment a-t-on pu laisser faire ça ? Justement, par manque de philosophie, en l’absence de débats ouverts. La scène médiatique est corrompue et l’abstention progresse. Après nous, le déluge… Les éclaireurs de la démocratie et autres lanceurs d’alerte ont maille à partir avec les lobbies. Et chaque fois c’est le même refrain : « c’est trop technique, mêlez-vous de ce qui vous regarde« . C’est la réplique préférée de tous les technoscientistes. Esprits curieux, s’abstenir ! Ils misent tout sur la présupposée ignorance populaire, avec le consentement tacite d’une large frange de médias devenus experts en désinformation. Alea jacta est ? La démocratie participative progresse, en mode réel ou numérique. A chacun de nous de savoir en jouer !
Laurent
* www.statistiques-mondiales.com