ECONOMIE : activité humaine qui, comme toutes les autres, aurait besoin d’un cadre, de limites. Or comme nous le rappelle Geert Hofstede, l’indulgence (ou la propension à laisser aller les enfants dans un cadre élastique, peu strict) varie largement à l’échelle mondiale. Nous sommes donc mal barrés pour un cadre commun ! Dès lors il ne faut pas s’étonner qu’en 2014 encore, l’économie soit assez peu domestiquée. Ce n’est ni l’OMC ni le FMI qui changeront grand’chose, puisque depuis leur création ces deux institutions supranationales se sont intéressées principalement à influencer la sphère publique et les politiques nationales (commerciales et monétaires). Nullement à s’ingérer dans les affaires des agents économiques privés (vous et moi, la PME ou la multinationale du coin !) Quelle curieuse lacune ! Quel étrange laisser-aller…
Etonnante dérive des mots : économie avait donné l’adjectif économe. L’économie moderne est tout sauf économe : ni en messages publicitaires, ni en ressources plus ou moins tarissables ! Cette filiation entre l’économie et l’économe a été bouleversée avec l’émergence du marketing, qui allait précipiter l’acheteur en consommateur implusif à crédit. Un angoissé du choix, hypersensible du qu’en-dira-t-on. Et les marchands d’autrefois, mutés par la doctrine en fabricants de besoins, de développer leur offre en mode obsolescence programmée. Pour faire durer le rêve consumériste, ajoutez un soupçon de fonds de retraites (pension funds) pour maintenir les papy-boomers en état d’acheter toujours plus et vous obtiendrez, en dérivée de l’économie dite réelle, la tentaculaire économie financière. Son haut-le-coeur des années 2007-2008 ne saurait la faire vaciller, tant elle nous colle à la peau !
La voilà, l’économie moderne : nullement économe, mais carrément décomplexée. Sans usines ni bureaux et quasiment plus d’hommes ou de femmes. A la riguer, un trader derrière deux, quatre, huit écrans ! Des tableaux de bord farcis de tas de chiffres en guise de monnaie virtuelle. Depuis les bancs de la fac d’éco jusqu’au conseil d’administration ou des ministres, voici le microcosme des économistes et des contrôleurs des finances, publiques ou privées. Les plus brillants seront Prix Nobel d’économie. Etrange distinction pour une science molle aux moeurs douteuses. Arrogante, l’économie moderne pratique la politique de la terre brûlée. Du haut de ses certitudes et autres dogmes souvent obscurantistes, elle ferait fuir un candidat à l’intendance venu d’une autre époque.
Mais l’économie moderne étouffe la société dans le cadre dans lequel elle s’est enfermée. C’est précisément en apprenant à « sortir du cadre » qu’elle regagnera sa crédibilité et son efficacité. Etrangement, c’est en réapprenant à compter, à comptabiliser, à réévaluer (ou à dévaluer selon les cas), qu’elle nous fournira une information fiable et digne d’intérêt. Pour ne pas perdre son latin, rappelons que « bénéfice » signifie « faire le bien« . Une entreprise dite bénéficiaire l’est-elle aussi pour ses salariés, pour son territoire et ses concitoyens ? La RSE (responsabilité sociale de l’entreprise, déclinaison du développement durable à l’échelle d’une entreprise) en fournit un exemple, un axe de progrès. Acceptons aussi que la perte, au sens comptable, puisse être reconsidérée, et sa base de calcul élargie ! Quand une entreprise perd, est-elle en fait sur la voie d’un bénéfice futur, à la fois pour elle-même et, veillons-y, pour le compte de la société dans son ensemble ?
Economistes hors-cadre, au boulot… avec de la rigueur et du courage. Et bienvenue à l’économie à l’âge adulte. Un drôle de zèbre !