Quel rapport, me direz-vous entre le dernier film des frères Dardenne, et le tsunami provoqué par la victoire du Front National aux élections Européennes ?
Plusieurs… il fallait tout d’abord de l’énergie pour se propulser vers les isoloirs aujourd’hui, avec ce beau temps, tout comme il fallait de la conviction à ma voisine pour m’emmener voir Deux jours, une nuit, un dimanche soir, à l’heure où les bureaux de vote fermaient.
On ne présente plus les frères Dardenne, connus pour ne pas faire dans la dentelle et produire des diamants bruts de cinéma, capables de vous miner le moral d’un champion. C’est donc avec une bonne dose de positivisme en bandoulière que nous nous sommes assises dans la salle obscure.
La suite ressemble à un coup de poing.
Comme Deux jours, une nuit, comme les 25 % (estimation à cette heure) du Front National aux élections Européennes.
Marion Cotillard mène le film avec une conviction incroyable. Jusqu’à son dos courbé par l’angoisse, et à ses cernes bleutés, pour entrer complètement dans le personnage de Sandra. Les frères Dardenne abordent de manière frontale le jeu des négociations employeur et jettent une lumière crue sur la misère des travailleurs. Les salariés d’une entreprise de production sont soumis à un choix cruel : conserver leur prime de 1 000 € ou empêcher le licenciement de Sandra, absente depuis un moment pour dépression.
Le personnage de Marion Cotillard, n’a qu’un week-end, pour essayer de convaincre ses collègues de la choisir et de lui permettre de conserver son emploi.
Chaque rencontre avec les autres salariés est un moment de vérité, chacun ayant, qui une compagne au chômage, qui un CDD, qui des enfants à l’université. « 1 000 € c’est un an de gaz et d’électricité, tu ne peux pas me demander cela. »
Terrible chasse au vote, menée par une Sandra sans cesse au bord des larmes, jamais revancharde et qui a l’impression de ne plus exister.
Ou comment vendre son âme pour garder son emploi ou toucher une prime, dérisoire en comparaison du coût de la vie. Au fur et à mesure du récit, on comprend qu’il faudrait bien plus de 1 000 € à tous ces gens, pour remonter la pente et retrouver un semblant de sérénité.
Le style épuré des réalisateurs, la lumière, magnifique, qui éclaire les corps blancs sous le soleil de la Wallonie, donnent au film sa puissance narratrice. On suit Marion Cotillard, frêle silhouette, cheminant de maison en maison, pour rencontrer ses collègues. La lumière est partout mais la noirceur du propos ne se perd pas dans les méandres du récit. On vous avait prévenus : avec les frères Dardenne, c’est du brut, de la vérité. Pas de faux-semblants, on va droit au but, quitte à se prendre un uppercut.
Alors quel rapport avec les élections Européennes, me direz-vous ?
Il y en a une multitude.
La pauvreté, le désespoir, l’absence de futur, la résignation, pour toute une catégorie de la société.
Ce sont les mêmes qui avaient hésité aux élections municipales, retenant leur vote sur un scrutin local, susceptible d’orienter leur vie quotidienne trop ouvertement.
Mais pour l’Europe, dont les politiques peinent depuis des décennies, à démontrer la nécessité, ils se sont « lâchés », suivant les mots d’un des invités du débat télévisé.
Ils ont crié leur colère.
Alors, oui, le réveil citoyen est urgent. Si les politiques des deux grands partis ne savent plus répondre aux besoins de la nation, les bonnes volontés doivent s’unir pour proposer des solutions citoyennes. L’intelligence collective doit permettre désormais d’imaginer un autre futur dans lequel l’Europe sera un maillon indispensable.
Car comment penser aujourd’hui que l’on peut se passer d’elle, à l’échelle du monde ?
Et comment penser que le réveil de notre pays puisse s’appuyer sur le rejet de l’autre ? Est-ce vraiment ce que nous voulons enseigner à nos enfants ?
Christèle
Merci.
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