Relire Adam (Smith) !

La semaine dernière Arte a présenté une enquête assez bien chargée, au cœur de l’économie moderne, de ses inspirateurs à ses acteurs. Il fut question de ressusciter Adam Smith, pour mieux comprendre ses idées en version originale. Pourquoi tant d’insistance si ce n’est pour montrer l’intérêt et les limites d’une pensée dominante – apparemment triomphante – qui berce notre quotidien ?

Erreur de lecture : jamais Adam Smith n’a prétendu que seule la « main invisible » – qui n’était pour lui qu’une suggestion parmi d’autres, à replacer dans le contexte historique de l’époque où l’on voyait la stagnation des richesses comme une fatalité – allait permettre de faire progresser l’intérêt général ! Adam Smith s’était rendu compte lui-même des potentielles dérives de son innovation économique. L’idée de « marché libre » et de « profit individuel avantageux pour tous », après des siècles de féodalisme et d’oppression du Tiers-Etat fut réellement révolutionnaire ! Alors avant même de publier (en 1776) ses célébrissimes « Recherches sur la nature et les causes de la Richesse des Nations », Adam Smith avait versé dans le sentimentalisme et l’humain avec la « Théorie des sentiments moraux » dès 1759. Voilà notre erreur fatale : avoir adoré le tome 2 au point d’en oublier le tome 1 ! La faute certainement à l’éditeur. Un livre peut en cacher un autre !

Fort de ce constat, pourtant, le capitalisme avec sa fantastique créativité allait muter. En se professionnalisant au plan théorique, en se bardant de calculs statistiques et autres modèles soit-disant scientifiques donc « rationnels ». D’un côté, un capitalisme de l’extrême devenu antilibéral et peu partageur. Adepte des quasi-monopoles et oligopoles planétaires, dont certains traitent les ressources, les producteurs et les consommateurs pire que des vaches à lait. Le pouvoir avili et pousse aux abus de position dominante… Ah, la caricature ! Mais de l’autre côté, un capitalisme modéré, ouvert, partageur. Celui souhaité par Adam Smith ? On le trouve au sein de milliers de PME, artisanales ou industrielles, au rapport de force plus équilibré vis-à-vis des parties prenantes (employés, consommateurs, citoyens). Ces capitalistes-là ont souvent les pieds sur terre, ce qui n’enlève rien à leurs ambitions de développement. Ils recherchent l’harmonie, la coopération, la pérennité comme l’avait observé Adam Smith. Au cœur de l’économie réelle et des territoires, ces entreprises façon « village gaulois » résistent comme certains microbes résistent aux antibiotiques ! Elles innovent et créent des emplois locaux.

Le capitalisme extrême (l’antibiotique) ayant tendance à dessécher les relations sociales, il était temps de rééquilibrer le rapport de force. Ce rééquilibrage est en partie venu sous l’impulsion des pouvoirs publics. Et tant pis pour les disciples de Friedman, un extrémiste qui voulait laminer les états. La technologie (Internet, qui permet le partage de biens et de services, voire d’énergie) rebat les cartes de pans entiers de l’économie. Une nouvelle génération monte à bord de l’économie mondiale, désenchantée par l’héritage économique, culturel et environnemental. Place aux nouveaux entrepreneurs et aux « intrapreneurs ». Et voici venu le sharing, l’économie du partage, idée vieille comme le monde. De Paris à Londres et de San Francisco à Séoul : cherchez bien, le sharing est partout autour de nous : Blablacar, Vélov ou Vélib, AirBnB, etc. Les bons plans sont sur la toile et surtout, accessibles par toutes les « petites poucettes » chères à Michel Serres. Le sens se redéveloppe, il énergise, il replace les hommes au cœur du système. N’en déplaise aux partisans du modèle industriel façon XXème siècle. Comme à l’accoutumée, les entreprises les plus conservatrices réfutent, dénigrent ou minimisent. Comme Louis XVI avait aussi minimisé les alertes qu’il recevait du terrain.

Adam Smith en tout cas apprécierait cette synthèse pragmatique de ses deux livres, entre « richesses » et « sentiments moraux », pour garantir la place de l’humain dans l’économie !

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2 réflexions sur “Relire Adam (Smith) !

  1. D’où l’on en tire la conclusion que le marketing, même à l’époque, était prépondérant, car pourquoi ce passage d’Adam Smith plutôt qu’un autre a-t-il marqué les esprits ? Combien d’idées économiques ou autres, ont-elles été ainsi mises en avant au détriment d’autres, qui n’ont pas eu l’heur de trouver leur public en leur temps ?

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