Curiosité et conspiration

« La curiosité est un vilain défaut » nous disaient nos parents ou certains instituteurs, face à certaines de nos initiatives « malheureuses ». La curiosité au stade infantile, poussée par une irrépressible soif de savoir, peut déranger l’univers conventionnel des adultes. Les adultes savent mieux que quiconque que certaines sujets fâchent, troublent l’ordre établi. Les adultes assument mal l’héritage innocent de leur enfance et sont souvent arc-boutés sur leur pouvoir, leur autorité en perdition.

Lorsqu’on vit, même à titre personnel, une épreuve troublante, notre cerveau se met en alerte et notre vigilance nous rend hyperactif et désordonné. Tel ce père de famille paniqué après avoir perdu la trace de ses chers bambins, en pleine place publique. L’observateur détaché nous dira, non sans compassion, qu’il faut savoir « raison garder ». Mais les conseilleurs ne sont pas les payeurs de nos émotions, ni les dompteurs de nos réflexes reptiliens

A chaque fois que se produit un événement terrifiant, l’hyperactivité devient contagieuse. Impossible de garder le silence, nous étalons nos peurs en pleine place publique. C’est que le trou noir et le chaos doivent vite être circonscrits. Tels des bourdons, nous « buzzons » tous en coeur, comme pour exorciser nos peurs les plus profondes ! Nous retournons à la case « collège » (la pire des cases du paysage éducatif, paraît-il) et notre esprit primitif prend les commandes. Nous revenons en pleine confrontation entre l’ancienne et la nouvelle génération, entre les détenteurs du pouvoir et ceux qui viennent le dérober.

Lorsqu’un acte violent rompt le silence de nos routines, nous vivons un remake de la bagarre, cet éclat de violence qui avait eu lieu entre des élèves de 6ème B et d’autres jeunes des classes supérieures du collège, loin des regards des surveillants. Nous nous souvenons de cette exaction, cette énigme jamais élucidée, lorsqu’un « vengeur masqué », un « déséquilibré » avait à trois reprises détérioré les toilettes du troisième étape. Quel irrespect ! s’étaient écriés les filles de 3ème A. On avait discerné des moqueries dans ce brouhaha public d’exaspérations et de lamentations sur l’immaturité du genre humain, à la sauce collégienne. Et puis, dans ce maelström émotionnel dopé aux hormones, quelques élèves au profil souvent discret, mais un peu original, avaient osé crier au « complot » ! Puisque la vérité n’arrive toujours pas, que les zones d’ombre persistent, la suspicion devient intenable. L’imagination et la créativité de certains élèves « zébrés » sont poussées dans leurs derniers retranchements. Un « no pasaran ! » impulsif qui noue des liens avec des situations passées, des énigmes irrésolues, des mensonges impunis. Soudain la suspicion prend la parole et sa publicité nous prend, tous, par surprise !

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Si vous aviez vu la réaction courroucée des surveillants et du proviseur. Si vous aviez entendu les appels à la raison des uns, adultes et enfants confondus, entremêlés de pouffements. Qu’ils étaient sincères ou qu’ils étaient feints ces ricanements de tous les « mouvements de pensée » de la cour de récré ! Si vous aviez écouté la gêne et les réflexes moralisateurs des uns et des autres, accusant qui la télévision aux fictions « débiles », qui l’irresponsabilité de certains parents? Sans oublier le manque flagrant de discipline de certains enseignants, esprits frondeurs notoires ! Voilà comment l’idée d’un complot, l’idée de complicités croisées ou d’intérêts incontrôlables, avait fini par atterrir au beau milieu de ce collège. La gêne était vraiment perceptible, surtout chez les enfants. Car les adultes, eux, n’étaient pas dupes ou avaient appris à éviter le danger du complot. Sécurité et confort intérieur oblige ! Conformisme oblige !

Mais pourquoi craint-on tant cette théorie du complot ? Théorie ou pratique avérée ? Est-ce simplement un crainte partagée de la folie humaine, à l’échelle politique ? Est-ce notre refus d’assumer notre propre part de perversité ?

Face à la menace conspirationniste, les mesures sont souvent graduées, considérant la publicité du complot comme soit une incivilité mineure, soit comme une menace sérieuse. Dans le premier cas, les thèses du complot seront d’abord niées, passées sous silence. Si cela ne suffit pas, ces thèses seront autoritairement rejetées, riduculisées, avec témoignages et références à l’appui. L’on chargera les médias les plus notoirement neutres ou « raisonnables », ayant pignon sur rue, de « couvrir l’affaire ». Voire de couler une chape de béton, si la menace venait à enfler, à l’heure des réseaux sociaux débridés ! Mais tant que la vérité n’aura pas totalement émergé, les anti-conspirationnistes (hommes politiques, grands médias, intellectuels reconnus) devront lutter contre ces constellations sceptiques. Car nous ne sommes jamais à l’abri des terrifiants aveux d’un ancien journaliste « impliqué » dans une affaire ou d’un ex-agent secret et pleine repentance !

Les soupçons de conspiration ont toujours existé. Tant que la transparence, cette utopie démocratique, demeurera menacée, des individus ou des regroupement d’individus iront traquer la vérité coûte que coûte. Mais au fond, notre société éprise d’ordre et de sécurité est allergique aux remises en cause. Malgré la répétition de crises en tout genre. Traiter les conspirationnistes, et autres partisans de la théorie du complot (qui doit bien avoir des raisons d’être), de fous ne suffit pas. Car les fous ne sont pas tous dangereux. Certains son aidés et utilisent leur folie pour créer ou explorer le monde réel et abstrait (artistes, entrepreneurs et autres aventuriers). Ces fous-là sont tolérés par la société, certains finiront même par être glorifiés pour leur héroïsme et leur courageux génie (paradoxe des fous). Mais les fous de conspiration, cousins des paranoïaques en milieu hospitalier, sont bien plus dangereux pour la société. Dangereux car ils se moquent de notre naïveté. Dangereux car ils s’attaquent, tels des terroristes intellectuels, aux valeurs fondamentales de la vie en société. Dangereux car ils montrent du doigt nos faiblesses, nos limites, nos échecs collectifs, tels ces enseignants ou ces commentateurs pervers et « toxiques ». Dangereux car ils sont le miroir de nos propres déviances et dérives sectaires !

Peut-on vivre avec des conspirateurs ? Tout d’abord, il importe d’en réduire le nombre et la croissance. C’est pour tout groupe une question de survie. Ou à défaut, canaliser leur énergie vitale est une affaire d’Etat, une priorité de chaque instant. Comme l’une des caractéristiques des conspirationnistes est leur empathie, leur malléabilité, la société peut les « retourner » à son profit, dans une vision positive, progressiste (action sociale, solidarité, politique de proximité, défense de l’environnement, droits de l’homme, etc.) La « conspiration positive » est une idée porteuse de sens, et moralement acceptable. Portée par des jeunes, elle apparaît comme innocente et peut être valorisée. Certes, d’abord la société voudra ne pas aller trop loin dans leur intégration, en les tenant à distance des hautes sphères du pouvoir. Mais cette discipline conservatrice est sans garantie ! En aucun cas nous ne pourrons, dans le respect de la liberté d’expression et d’entreprise, ni censurer ni éradiquer totalement ces êtres déviants. Notre progrès est à ce prix !

Laurent

http://conspirationpositive.free.fr/

Une réflexion sur “Curiosité et conspiration

  1. Les élans conspirationnistes sont le « côté obscure » de notre quête de la vérité. Pour la société, ils représentent un danger car ils viennent ébranler nos convictions et nos valeurs partagées.
    Même hors-caméra, les idées de complot ou d’un tissu de liens pervers entre plusieurs organisations ou états fragilisent la légitimité du pouvoir politique, économique ou religieux.
    Ces vues déviantes sont un rappel de l’imperfection de notre société et des abus de pouvoir dissimulés. Volontairement ou non, les thèses divergentes face à un événement grave participent aux initiatives des lanceurs d’alertes, au nom de la vérité et de la démocratie.

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