Procrastiner est une tendance, jugée fâcheuse et contre-productive, qui consiste à remettre des actions au lendemain. Le bouclage du reporting mensuel, le calcul des moyennes des élèves, le rangement de la chambre, etc. Procrastiner est mal vu. Est-ce pour nous tous l’affirmation de notre sens aigu de la priorisation ? ou des limites de notre courage au quotidien ? La procrastination ressemble à une attitude rebelle, anti-conformiste voire irrespectueuse des conventions sociales. Celui qui procrastine peut être perçu comme un fainéant, alors qu’il se laisse déborder par l’orientation de son activité selon ses préférences.
La sérendipité, quant à elle, nous vient du Sri Lanka en passant par les Indes Britanniques, suite aux découvertes heureuses des Princes de Serendip. D’après Wikipédia, la sérendipité est le fait de réaliser une découverte scientifique ou une invention technique de façon inattendue (…) très souvent dans le cadre d’une recherche concernant un autre sujet. Parmi les nombreux exemples de découvertes et inventions liées au hasard, on peut citer : la lithographie, le four à micro-ondes, la pénicilline, le Post-it, le téflon, le nylon, le Velcro. La sérendipité est devenue le fait de « trouver autre chose que ce que l’on cherchait », des idées originales et inattendues, des trouvailles, notamment des découvertes géographiques et des innovations culinaires. Quelques exemples : le Coca-Cola, la tarte Tatin, la découverte de l’Amérique (version Colomb), le roquefort, les bêtises de Cambrai. Alors nous voilà devant un paradoxe dans la vie de tous les jours, au travail comme à la maison. Sous prétexte que le temps est précieux et que chaque instant de notre vie est chronométré, budgété, procrastiner est souvent mal jugé par notre entourage. Lequel entourage est en attente d’améliorations, de progrès rapides. Et pourtant, telle ou telle expérience « pour voir » peut très bien, sans qu’on en maîtrise la probabilité, déboucher sur de nouvelles idées, faire progresser notre compréhension du monde, d’une activité ou d’un métier.
Sérendipitez, et vous vous libérerez, pour quelques heures ou quelques jours, des routines et des conventions. Sérendipitez pour mieux saisir votre chance, la chance de progresser intérieurement avant même d’en faire profiter qui vos clients, qui vos élèves, qui vos enfants. Sérendipiter, c’est faire l’école buissonnière mais à l’âge adulte, retomber en enfance, innocemment mais pour grandir ! La sérendipité est un chemin de traverse vers l’efficacité. Une expression personnelle de curiosité et d’ouverture au monde. Visiter un salon inhabituel, un colloque scientifique ou retourner à la bibliothèque. Se laisser surprendre et partager connaissances et expériences, valeurs et convictions, sans tabou et sans a priori. Sortir du cadre…
Comment améliorer nos connaissances et nos relations à autrui si l’on ne s’accorde pas des temps de vagabondage ? Sans d’exploration libre et notamment, libérée des contraintes, notamment temporelles ? Au lieu de cela, on fait bien souvent la chasse au geste ou à la pensée jugée inutile ! Et à force de réprimer le superflu, on encourage la perte d’efficacité par la démotivation du sens perdu. On tue l’initiative, cette extraordinaire force d’apprentissage et d’amélioration. On refroidit les relations sociales, les rapports clients-fournisseurs, les liens sociaux à tous les étages. Au risque de perdre collectivement en efficacité, à la maison ou en entreprise.
Pire peut-être, à force de traquer la vilaine bête de la procrastination, par peur du temps qui passe, par crainte de perdre du temps (par peur de la mort ?) on ajoute des règles aux règles, on bride notre capacité à évoluer ou à changer notre itinéraire personnel. Et quand le système « plante », on accuse le concepteur de cette machine complexe et infernale que l’on avait la veille consenti à acheter. On rejette la responsabilité à l’organisation, pour mieux noyer le poisson de notre conservatisme. Il est toujours plus confortable de rejeter, extérioriser la cause de nos ennuis.
Sans peur des conventions sociales, arrêtons de temps en temps de procrastiner nos projets de sérendipité. Comme jadis les Prince de Serendip, partons à l’aventure. A l’heure d’Internet, avec un peu de bon sens et de vigilance, d’immenses territoires restent à découvrir. Mettons-nous à l’œuvre et n’ayons plus peur de laisser opérer la magie de cette « sagacité fortuite », cette exotique sérendipité.
Laurent
Un très bon article. Vous avez mille fois raison. Notre environnement évolue et nous donne la possibilité d’avoir accès à des champs d’exploration plus vastes que jamais. Profitons en et ne nous laissons pas absorber par ce même environnement qui paradoxalement est de plus en plus chronophage.