D’après Slate en date du 14 Janvier, « Charlie va enterrer Charles », en référence au record du nombre de tirages. Mais au plan symbolique, et si c’était l’inverse qui allait se passer ? Sans sombrer dans la nostalgie, mais pour progresser…
Qu’aurait dit Charles s’il avait vu ce qui était arrivé à Charlie ? Aurait-il seulement cédé à la compassion, lui qui nous semble venu de la nuit des temps, du temps où le blasphème était encore pourchassé, et pas que par des fanatiques d’une autre religion ? Qu’aurait-il laissé filtrer médiatiquement, lui qui s’était tant accomodé, pour ne pas dire plus, de la censure de la presse, de la radio et de la télévision ?
Si Charles De Gaulle était de notre époque, comment s’affranchirait-il du buzz du plus incontrôlable des médias ? C’est qu’en mode pair-à-pair, sur la toile, rien ne semble pouvoir stopper la déferlante de la critique, de l’information, de la désinformation. Imaginons qu’il nous revienne, tel le héro extra-terrestre de la Soupe aux Choux joué par Jacques Villeret. Le même étonnement, la même incompréhension le saisirait immédiatement ! Car comment ne pas crier à la « chianli » et comment ne pas dénoncer ce « machin », face à ce bidule qui n’a même plus besoin de câble, de modem ou de clavier pour nous connecter au monde virtuel.
Charles avait connu le sens de la limite. Il avait toujours su repousser les contraintes et les pressions extérieures, fussent-elles américaines. Oui mais là, comment aurait-il réagit à une Europe pantin, ce « laquais des Etats-Unis » comme le nomme la fille d’un ancien combattant, bien adroite dans le verbe et bien à droite sur l’échiquier politique national ? Est-ce que Charles aurait cautionné la pression insistante des va-t-en-guerre de Washington ? Lui qui a toujours défendu une forme de non-alignement, avec son sens du partenariat bien pensé, sans excès de complaisance. Mais qu’aurait-il dit d’un ancien président excité, ouvertement atlantiste et peu modéré sur la question de la guerre ? L’aurait-il renié, excommunié ?
Qu’aurait dit Charles en voyant le manque d’imagination, et surtout le manque de courage, le défaitisme de son pays ? Aurait-il été outré face aux luttes intestines entre corporations, entre groupuscules économiques ou politiques, entre syndicats de tous bords ? Il en faudrait des Charles pour mettre un terme aux effusions d’un pays que les plus négatifs, presque négationnistes, taxent de « suicidaire ».
Mais le temps des super-héros est loin derrière nous. Et Charles, même s’il revenait, serait de toute façon fatigué, las. Alors avant de regagner son fief de Collombey, il s’activerait à regrouper quelques têtes bien faites plutôt que bien pleines. Il jaugerait sans a priori les plus combatifs, les plus déterminés à œuvrer pour le bien public. Avec une petite tape amicale au mouvement associatif, trop occupé pour perdre son temps dans la politique politicienne. Car il n’y a que cela qui compte, pour lui. Montrer l’exemple pour regagner la confiance. Mais parce qu’on « revient de très, très loin » il en faudra du temps. Alors autant laisser la place à de vrais jeunes gens, quitte à former des binômes avec quelques mentors, plus rôdés aux arcanes du pouvoir.
De Charlie à Charles, c’est un peu notre destin post-soixante-huitard qui est en jeu. Comme si par un curieux mouvement de balancier, l’histoire nous amenait à remettre de l’ordre et de l’autorité, à réapprendre le sens de la limite, de toutes les limites. Le sens de la famille, de la communauté (et non du communautarisme), de la nation élargie dans un monde globalement connecté. Même Charlie, cet éternel adolescent à l’image de Cabu, finira par se rendre à l’évidence. Non sans nous maintenir en alerte, non sans continuer de faire rire ceux qui le souhaitent encore !
Laurent