Avec l’élection du Président Duda à la tête du pays, la Pologne a entamé un sérieux virage à droite. Un comble dans un pays qui avait pourtant déjà éradiqué le communisme et même toute forme de gauchisme. Au point que « gauchiste » soit devenu, en polonais, une insulte… Depuis une vingtaine d’années, les forces politiques polonaises au pouvoir ont oscillé entre un centre-droit modéré mais tout à fait capitaliste et une droite plus populiste, nationaliste et catholique.
Après l’élection de Duda, les élections législatives n’ont fait que confirmer le virage à tribord. D’où les craintes de certains milieux, au sujet de la santé économique du pays, jusqu’ici « meilleur élève » de l’Union Européenne. La crainte d’effets dévastateurs des mesures populistes, du moins attendues comme populaires, en réaction aux effets de la mondialisation. Un coup de frein à la libéralisation très poussée dans ce pays qui est un des champions d’Europe non seulement de la croissance du PIB, mais aussi de la réforme de l’état-providence. Un mouvement de recentrage sur le cœur de la nation : la famille ! Baisse de l’âge de la retraite, scolarité, contrôle des banques. Tout cela sentirait presque l’anti-libéralisme primaire. Vladimir Illitch, bien au frais dans son mausolée climatisé de la Place Rouge, doit se marrer face aux allers-retours idéologique de son cousin slave occidental.
Alors où va la Pologne ? Dans quelle direction s’aventure ce pays pivot entre l’ancienne et la nouvelle Europe ? Au plan énergétique, l’annonce du refus de signer le Protocole de Kyoto – qu’on se souvienne du précédent américain, australien ou canadien, pays trop enlisés dans leurs combustibles fossiles à forte teneur en gaz carbonique – tend à montrer que la Pologne n’est pas encore prête à prendre le virage de la transition énergétique. Elle dépend trop du charbon pour son électricité et, en partie encore, pour son chauffage. Un an avant la sommet de Paris, celui de Varsovie aura été un festival de conservatisme et de status quo, entremêlé de promesses qui n’engagent que ceux qui les écoutent. Alors que d’autres évoquent la taxe carbone, en Pologne c’est le charbon qui domine, bien ancré dans la culture locale. Comme dans l’Angleterre ou la France en des temps lointains… La Pologne peut également compter sur la proche Allemagne, qui sert à la fois de modèle et d’excuse à la Pologne pour continuer de creuser son sous-sol carboné, en Silésie dans la région de Katowice.
Au plan économique, la Pologne a rejoint le club des pays inégalitaires. Un comble encore, pour un ex-pays communiste ! Alors que les classes les moins favorisées s’entassent dans des véhicules d’occasion importés d’Allemagne ou dans des transports en commun bondés, les nouveaux riches paradent fièrement au volant de leur Porsche, Audi ou Bentley. Alors que les classes les moins favorisées se serrent les coudes dans de petits appartements dans des barres en béton d’un autre âge, les nouveaux riches fuient, paradoxalement, le centre-ville et préfèrent se payer de véritables petits châteaux situés en périphérie, avec toitures rutilantes et frontons néo-classiques. A la gloire de la propriété privée retrouvée. A l’effigie de leur réussite matérielle, surtout ! Ces « happys fews » laissent loin derrière eux la « burżuazja kredytowa » (bourgeoisie à crédit) qui ne peut éviter la vie en immeubles aux accents encore collectivistes.
Après l’économie, le social. Non content d’une natalité parmi les plus basses d’Europe, et d’une immigration très faible, la Pologne de Duda voudrait écourter la durée du travail. A moins que ce soit le reste de l’Europe qui n’ait rien compris, et que la Pologne soit « dans le vrai » ? Et si la Pologne ne faisait qu’anticiper une contraction du marché du travail, alors que les salaires grimpent dans plusieurs villes importantes (Varsovie, Cracovie, Wroclaw…) rendant ses centres de services partagés de moins en moins compétitifs à l’échelle mondiale ? A moins que ce ne soit la robotisation qui vienne supplanter la main d’oeuvre de base, à l’instar de ce qui se passe déjà chez Amazon ? Rappelons qu’Amazon a installé 4 méga-entrepôts dans le pays, pour l’instant très gourmands en main d’oeuvre… mais pour combien de temps encore ?
A titre de comparaison, la France n’a pas, au plan politique, l’exclusivité du court-termisme et du populisme nombriliste. Les prises de position polonaises eurosceptiques et opposées à l’accueil des réfugiés du Proche-Orient achèvent la représentation d’un pays qui se replie sur lui-même. Mais il y a fort à penser que toutes ces annonces ne soient qu’une nouvelle distribution gratuite de poudre aux yeux. Attention aux effets d’annonce…
Laurent