Curieuse coïncidence : à l’heure où de nombreux occidentaux, en état de choc, se revoient déjà dans une nouvelle phase de conquête de l’Islam, j’ai préféré éteindre la télévision et la télévision dites « populaires » pour me plonger dans un récit d’Amin Maalouf, prix Goncourt 1993. Amin Maalouf est un spécialiste du monde arabe et des relations entre l’Occident et le Moyen-Orient. Dans « Les croisades vues par les Arabes« , l’auteur nous rafraîchit la mémoire. Il va beaucoup plus loin que l’analyse dictée par le programme d’histoire de France de l’éducation nationale. Le sous-titre évocateur et provocateur, « la barbarie franque en Terre sainte », n’est pas choisi par hasard !
Les forces occidentales, issues de toute l’Europe chrétienne, sont nombreuses et présentées comme bien organisées, avec leurs armures imposantes et leurs navires fournis. L’Occident profitera longtemps de l’instabilité du monde arabe, qui ressemble plus à l’addition hasardeuse de potentats locaux qu’à un véritable ensemble politiquement soudé. Les croisés profiteront aussi des rivalités entre chiites et sunnites (déjà à l’époque !) et la concurrence des turcs Seldjoukides. Vu du camp arabe, le comportement militaire des Francs nous est livré avec moult détails, sans langue de bois. D’un côté, le monde arabe est à l’époque supérieur au monde occidental au plan culturel, mais inférieur au plan de la combativité. Les turcs, quant à eux, n’hésiteront pas à classer les guerriers francs parmi les anthropophages. Au sujet de la bataille de Maara, en 1099, le chroniqueur franc Albert d’Aix écrira : « Les nôtres ne répugnaient à manger non seulement les Turcs et les Sarrasins tués mais aussi les chiens ! » Cannibalisme par nécessité, comme dans une lettre envoyée au Pape pour justifier ces agissements ? Ou cannibalisme par fanatisme ?
La barbarie des guerriers de la Croix n’est bien sûr qu’un aspect de cette sauvagerie organisée au nom de Dieu ! Pour Amin Maalouf, cette incursion de l’Occident représente le début d’une période tragique, « encore ressentie aujourd’hui, en Islam, comme un viol ». Ironie du sort, les croisades vont engendrer un retour en force des musulmans, sous le drapeau des Turcs ottomans, jusqu’au cœur de l’Europe (Vienne, au XVIème siècle). Au fond, le monde contemporain, en ce début de XXIème siècle, ne peut se comprendre qu’en remontant aux sources des relations conflictuelles entre l’Occident et le Moyen-Orient. Si le XIXème siècle et la révolution industrielle en France et au Royaume-Uni engendre une poussée impérialiste et la colonisation du Proche et du Moyen-Orient, il faut remonter aux XI et XIIèmes siècles pour mieux saisir l’histoire. C’est là l’un des mérites de ce livre, permettant de changer d’époque et de changer de point de vue.
Au cœur des rivalités au sein même du monde arabe, un certain Hassan-ass-Sabbah, va être à l’initiative d’une nouvelle force religieuse et politique. Natif de Perse, Hassan ne supporte pas de voir la doctrine chiite perdre du terrain face à la poussée Seldjoukide, qui défend l’orthodoxie sunnite. A l’époque, la Syrie comme l’Egypte sont d’obédience chiite, mais avec le temps et les voyages à Baghdad et jusqu’au Caire, Hassan prend conscience, au contact de mouvements intégristes locaux, de la menace qui pèse sur la dynastie chiite. Avec Nizar, le fils du calife du Caire, un mouvement est créé. Hassan en sera le principal artisan. Il commencera par s’isoler du côté du mont Elbrouz, près de la mer Caspienne. Une organisation politico-religieuse que l’on qualifierait aujourd’hui de secte. Une discipline de haut vol et un endoctrinement implacables, qui ne laissent rien au hasard. Les adeptes de la secte sont classés selon leurs aptitudes, leur courage et leur fiabilité. Leur pratique préférée ? Le meurtre de personnalités choisies, par une, deux ou trois personnes de l’organisation secrète. En principe dans un lieu public, la mosquée, le vendredi.
La légende veut que les adeptes d’Hassan commettaient leur forfait dans une grande sérénité. Certains contemporains ont émis l’hypothèse que les membres de l’organisation étaient drogués et consommaient de haschisch. D’où leur appellation d’Haschischins, plus tard déformée en Assassins. Le succès de la secte d’Hassan-ass-Sabbah sera fulgurant, et les guerriers francs n’y seront pas insensibles. Au contraire, comme le relate Amin Maalouf, à plusieurs reprises les Occidentaux pactiseront avec les Assassins, contre l’ennemi arabe ou turc. Toute ressemblance avec des faits récents en Syrie ou en Iraq… n’est que fortuite ! A moins que cela ne soit une preuve que décidément, l’histoire aime à se répéter. Et qu’en politique, tous les coups, même les plus tordus et immoraux, sont permis !
Laurent
Cette vision réductrice de l’histoire est loin de refléter la réalité : L’Islam conquérant a mené de multiples guerres contre l’Occident, terrorisait les populations, empêchant tout commerce pacifique sur la mer méditerranée. La première croisade ne fut pas une guerre de conquête mais de libération, et s’il y eut quelques abus, les guerriers francs n’ont pas été les barbares que l’auteur décrit, et n’ont pour la plupart rien gagné à cette expédition.
L’Islam, lui, mena des conquetes sanglantes et les récits sont multiples sur la barbarie des têtes coupées, peuples massacrés ou vendus comme esclaves. L’auteur oublie aussi les incessantes razzias de femmes chrétiennes envoyées comme esclaves sexuelles dans les harems.