En 2010, l’INRA et le CIRAD (centre de recherche agronomique pour le développement) ont publié le résultat de leurs travaux de prospective, à l’horizon de 2050. Il ne fallait pas s’attendre à ce qu’un tel travail fasse les grands titres du JT de 20 heures ! Pour réaliser cette recherche conséquente, l’équipe en charge de cette étude a dû envisager diverses trajectoires de développement économique. Plus spécialement, il a fallu envisager différents types de relation entre l’homme et la terre nourricière.
Le scénario « agrimonde » concurrence le scénario « technogarden », qui fait la part belle à la technologie dont les variétés transgéniques. Le scénario « mosaïque adaptative », quant à lui, répond à une trajectoire qu’on pourrait qualifier de « décroissante ». Enfin, un autre scénario anticipe un repli sur soi, tant au niveau des pays du Nord que des pays du Sud…ce qui ne plairait guère à l’Organisation Mondiale du Commerce, mais c’est un autre sujet !
Aujourd’hui dans le monde dit « développé », l’homme comme la terre agricole sont malades. Malades d’une surconsommation, d’un épuisement des terres. La consommation moyenne des 38 pays de l’OCDE frôle les 4000 kcal/personne, dont 1000 animales. Or nous savons qu’il faut jusqu’à huit fois plus de terres pour produire une calorie animale comparé à son équivalent énergétique végétal ! L’INRA et le CIRAD ont distingué deux scenarii « agrimonde ». Le premier privilégierait la croissance économique, dans la lignée de l’extraordinaire développement qu’a connu le monde au XXème siècle, au détriment de la planète.
En somme il s’agirait d’un scenario offensif, une sorte de copier/coller des tendances du passé, dans lequel le poids des intrants (pesticides, engrais, équipements en tout genre) explose, moyennant une concentration accrue des fermes devenues « exploitations ». Le deuxième scenario agrimonde, plus « défensif » et « conservateur », a pour but de nourrir la planète tout en préservant les écosystèmes.
L’intérêt, assez évident, du second scenario, passe par la baisse du volume d’intrants, et au passage un moindre endettement du milieu agricole, et une réappropriation du métier de paysan, loin de l’assistanat ou de la dépendance envers les géants mondiaux de la fourniture d’équipements, de semences, de produits phytosanitaires, et de conseils en tout genre… L’intérêt réside aussi dans une moindre spécialisation et donc une meilleure résistance des agriculteurs aux aléas climatiques et boursiers (cours des matières premières agricoles à Chicago). Le chemin est certainement long et scabreux. Il passe par une rééducation, un changement complet d’attitude y compris au niveau politique (PAC et autres carcans), éducatif et, plus généralement, par une revalorisation du métier, au plan non seulement financier mais aussi au plan social.
A l’heure où tant de personnes se plaignent, voire souffrent, d’un manque de visibilité du monde actuel, la prospective des scientifiques de l’INRA et du CIRAD ont au moins le mérite de montrer que des solutions existent. Mais ces scenarii ne sont pas là pour déresponsabiliser ou rendre encore plus passifs tout un chacun. Les connaissances et les « bonnes pratiques » existent, ce sont bien plus que de simples lubies isolées. Or le monde agricole, à force de réformes et de concentrations, souffre plus que jamais d’isolement. Il est donc temps de ramener l’humain au cœur de cette activité, l’agriculture, qui nous a fait passer, il y a plusieurs millénaires, du chasseur-cueilleur nomade à l’agriculteur qui ouvrit la voie de la sédentarisation.
En attendant, à coup de famines, de sécheresses et de mécanisation-robotisation, l’agriculture « moderne » évince les populations rurales, partout dans le monde. En quelques décennies seulement, on est passé de 100 heures de travail humain par hectare à seulement 20 minutes. Mais à l’autre bout de la chaîne, du basculement du secteur primaire vers le secondaire et le tertiaire, les villes, en Asie comme en Afrique ou en Amérique, n’arrivent plus à absorber le surplus de néo-urbains. Alors il y a urgence de passer de la théorie prospective à la mise en pratique…
Laurent