L’étrange mariage des affaires et des médias

En France, les règles et les lois sont souvent faites pour être contournées, détournées, retoquées. Le cas des médias et de leur concentration constitue une belle entorse aux principes établis dès la Déclaration des Droits de l’Homme de la révolution française, qui limitaient strictement le cumul entre pouvoir économique et pouvoir médiatique. Rappelons aussi la « libération de la presse » voulue par les Ordonnances de 1944 qui organisèrent et garantirent sa liberté d’expression ainsi que son pluralisme. Alors de deux choses l’une : soit l’on considère les médias comme un secteur économique « comme un autre », soit on s’efforce à reconnaître le rôle particulier de la presse. Dans le premier cas, on peut tout à fait trouver normal la vague de concentration et de réorganisation du paysage médiatique. Car au vu de l’effusion d’Internet, tel un chien dans un jeu de quilles, et au vu de la perte de rentabilité (voire son effondrement) de certains titres ou d’autres médias (radio, télévision, etc.) on peut, froidement, considérer que de nombreux médias ont atteint leur maturité, voire leur déclin. Et laisser la porte ouverte aux rachats par une poignée de propriétaires du CAC 40, conduisant fatalement à des concentrations. Ou bien s’en offusquer, demander des contreparties, refuser la fatalité d’une prétendue « loi du marché », qui n’a d’ailleurs rien de très libéral si on y réfléchit bien.

Pour justifier les récents remaniements du paysage médiatique, on a longtemps déjà cité le rapprochement entre les tuyaux du Web (via les fournisseurs d’accès comme SFR, propriété de Patrick Drahi, lui même ayant racheté L’Express, ou encore Xavier Niel co-propriétaire du Monde, de l’Obs, Télérama, et de Rue89… Et pour enfoncer le clou et noyer un peu plus les responsabilités, il y a la mode du gratuit, qui finit par assécher les ressources des entreprises d’information et transforme le lecteur en simple consommateur passif ! Certains prétendent que ces bouleversements capitalistiques, dont la grève de la chaîne iTélé de Bolloré (via sa participation dans Vivendi) n’est qu’un épiphénomène, sont à remettre dans le contexte pré-électoral, en vue du grand spectacle de la présidentielle de 2017 ! Grand spectacle qui peut aussi être synonyme de grands projets pour les industriels qui dépendent bien souvent des décisions gouvernementales.

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Mais revenons aux fondements de la fin de la deuxième guerre mondiale. Comme l’explique le blog Journal d’un journaliste : l’un des objectifs des ordonnances de 1944 sur la liberté de la presse était de lutter contre la concentration des entreprises de presse. D’ailleurs, elles précisent qu’il n’est pas possible pour un même patron de presse d’être aux commandes de plusieurs titres et d’exercer une fonction extérieure. Les ordonnances des 22 et 26 Août 1944, prises très peu de temps après la Libération de Paris, fixent les critères économiques, financiers et moraux pour la réorganisation du secteur de la presse. Celle du 26 Août 1944 a pour objectif de sanctuariser la presse vis-à-vis des puissances de l’argent et de l’influence de l’Etat, tout en assurant l’indépendance des journaux et leur transparence.

La presse, vue comme « instrument de culture » et non comme simple marchandise, n’a certes pas dit ses derniers mots. Que ce soit sur Internet, sur certaines ondes « moins commerciales » ou dans les librairies bien fournies, il existe aujourd’hui mille et unes manières d’élargir son champ de vision. Ce n’est, très certainement, qu’une question de temps, de disponibilité, de capacité d’écoute et de concentration ! Au fond, nous n’avons peut-être jamais eu autant de facilités, autant de possibilités d’accéder à l’information de source française ou étrangère. Jusque sur Facebook, qui devient qu’on le veuille ou non une source d’information majeure. Mais il faut faire cet effort de digérer l’information, de la comparer et d’écouter son intuition. Et l’on ne peut que remercier celles et ceux qui œuvrent pour entretenir la pluralité des opinions et empêcher notre société de basculer corps et biens dans un monde orwellien.

Laurent

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