Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais depuis quelques années, nous n’échappons plus à l’indispensable évaluation. Toutes les actions sont passées au crible de l’audit, voire de l’auto-diagnostic lorsque l’on parle de qualité. Le phénomène a démarré dans les entreprises et pris de l’ampleur dans tous les domaines y compris dans l’aide sociale, l’éducation et l’administration.
Il semble qu’on ne puisse plus mettre en oeuvre un système éducatif, une politique en faveur d’un public ciblé, sans que l’on trouve ces fameux ratios de qualité et de performance qui permettront de juger si l’argent dépensé a été bien employé.
« Eduquer ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu. »
Montaigne
Mais que cherche-t-on exactement à évaluer ? Peut-on qualifier objectivement le retour sur investissement d’une campagne d’alphabétisation ? Ou comme le font désormais systématiquement les régions, un projet de rescolarisation ou d’insertion dans l’emploi des jeunes en grand décrochage ? Quel résultat est-on censé attendre en tant que contribuable et commanditaire de ces actions publiques ? Un pourcentage de réussite ? Un nombre de contrats de travail signés ?
Sur un programme concernant vingt jeunes en grande difficulté, si un seul décroche un job pérenne, fallait-il pour autant ne pas financer le projet ?
Le danger de l’évaluation systématique consiste, dans l’exemple précédent, à ne raisonner plus qu’en fonction des objectifs et des résultats de l’action. A mettre trop de finesse et de rigueur dans les attendus, en termes d’indicateurs mesurables, on finit par biaiser l’expérience et ne sélectionner à l’admission dans le process, que des candidats susceptibles de s’en sortir.
Or un programme pour rescolariser les jeunes en grande difficulté n’a-t-il pas justement dans ses gênes le risque de l’échec ?
Le secteur de l’insertion des personnes sans diplômes ou sans expérience professionnelle n’échappe pas à la règle, financé désormais quasiment totalement au rythme des indicateurs. Le revers de la médaille fait que le recrutement des personnes concernées par ces programmes est de plus en plus complexe, les recrues potentielles devant être susceptibles de réussir, faute de non financement des acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS).
Malgré la loi ESS de 2014 qui a eu pour énorme intérêt de définir et réguler un secteur entier de l’économie qui ne portait pas de nom, le principe de solidarité est de plus en plus érodé par l’évaluation systématique des politiques publiques.
Le raisonnement en deux temps, objectifs/indicateurs d’efficience, saucissonne la volonté des politiques et des citoyens en un système compliqué et basé sur des notions de performance parfois plus ambitieuses que celles des patrons de l’industrie. A trop évaluer, on finit par perdre l’essence du projet.
Le risque principal est de refuser la valeur d’expérience de l’échec. Or réussir, c’est avant tout apprendre à gérer l’échec.
« Tomber sept fois, se relever huit. »
Philppe Labro
Il est des graines que l’on plante et qui mettent longtemps à germer. Le feu allumé par Montaigne ne saurait se mesurer. Qui peut juger du travail sur soi que peut réaliser un jeune après une expérience ratée de retour vers l’école ?
On admet en psychologie que le mental continue de travailler entre deux séances chez son thérapeute mais cela paraît bien compliqué de réfléchir de la même façon lorsqu’on parle d’argent public.
Certains pays du Nord de l’Europe l’ont compris, en abandonnant tout système de notation à l’école, privilégiant la notion de plaisir et d’apprentissage, tandis que nous persistons dans un système orienté sur la compétition et le classement. (voir notre article sur l’école)
Même en vacances, nous sommes désormais évalués : si nous ne rentrons pas bronzés, en ayant fait du sport et en ayant visité tous les spots culturels et remarquables, notre séjour est considéré comme peu satisfaisant.
Alors, retournons faire la sieste. Un moment de pause bien mérité.
Christèle