Que n’a-t-on pas déjà dit sur l’Allemagne, notre puissant voisin et allié économique ? En France, il semble acquis que nos voisins d’outre-Rhin ont « tout compris » à l’ère de la mondialisation, tandis que nous serions des « losers », d’incorrigibles gaulois non réformables ! En est-on vraiment sûrs ?
La séquence historique est bien connue. A peine après la chute du mur de Berlin, l’Allemagne a commencé à tourner le dos à la France et au reste de l’Europe de l’Ouest. De nombreuses entreprises industrielles ont préféré délocaliser une partie de leur production dans les PECO au détriment de la France ou de l’Italie. Profitant à la fois de l’ouverture des marchés, des plus faibles coûts salariaux pour produire en mode low cost et d’effets de change favorables (les PECO étant alors exclusivement en dehors de l’Eurozone) pour exporter.
Et soudain en 2002, un scandale éclate outre-Rhin, mettant en cause les statistiques de placement de l’Office fédéral du Travail des statistiques. Le nombre de chômeurs allemands, officiellement limité à 4 millions, devait être fortement revu à la hausse : autour de 6 millions. Dure réalité ! Est-ce une pure coïncidence si la grande réforme du marché du travail (lois Hartz) est décidée, sans une véritable consultation, au début des années 2000 ? C’est au même moment que la France abandonne le Franc alors même que l’Allemagne troque son Deutschmark fort contre un Euro sous-évalué. Il faut rappeler que le contexte économique de l’époque n’était guère reluisant pour le chancelier Schröder (dont Peter Hartz, DRH de Volkswagen, était un proche). L’augmentation du chômage paraissait inévitable alors que l’Allemagne accusait le coup, en plein ralentissement économique comparé au reste de l’UE.
Aujourd’hui l’Allemagne nous est souvent présentée comme un modèle économique, avec ses excédents commerciaux et l’insolente santé de ses fleurons industriels. Outre les mythiques BMW, Mercedes ou Audi, la France reprend un coup sur la tête à l’heure où l’on évoque le rachat (déguisé en « rapprochement » façon Airbus EADS) d’Alstom, le constructeur du TGV, par un certain Siemens. Alors même que l’Allemagne brille de mille feux à l’export, paradoxalement ou génialement, elle reste économe, et même avide d’austérité comme l’incarne « Mutti » Merkel. Bref plus fourmi que cigale. La grande Allemagne achète relativement peu à ses partenaires commerciaux européens… d’autant que la préférence nationale est plus fort à Berlin qu’à Paris ou ailleurs dans l’UE.
Mais que reste-t-il alors du « modèle allemand » ? Le propre d’un modèle est de pouvoir être imité. La Chine s’y est assez bien essayée, à grands renforts de machines-outils made in… Germany !! Mais en Europe, le made in Germany, justement, reste tenace et assez inimitable. Les représentations ont la vie dure, notamment dans l’automobile, malgré le Dieselgate visant VW et consorts. D’autant que les experts allemands en « green washing » n’ont pas dit leur dernier mot, dans les couloirs de la Commission Européenne, freinant le basculement vers l’électrique ou d’autres technologies.
Plus prosaïquement, il faut bien admettre que l’Allemagne dispose d’une proximité géographique incomparable et a hérité (via l’ex-RDA) de liens historiques très forts avec ses voisins directs d’Europe centrale. Cet avantage concurrentiel paraît presque insurmontable, car c’est le fruit d’efforts continus, sur plusieurs décennies. Mais alors, les voisins de l’Allemagne, à commencer par la France, n’auraient-ils que leurs yeux pour pleurer, face à un tel leadership ?
Pour compléter la photo, regardons un peu les sujets sociaux : la pauvreté, l’indemnisation du chômage, la retraite, la protection santé. La France semble aujourd’hui en relativement meilleure posture (si, si !) que son voisin d’Outre-Rhin. Et la place de la femme allemande n’est guère enviable, car les effets sociaux des réformes de l’ère Schröder affectent tout particulièrement ces dernières, notamment au travers des fameux minijobs ! Le journaliste Guillaume Duval rappelle le passé conservateur et très traditionnel de l’Allemagne. Et de citer un autre Guillaume (ou plutôt Wilhelm). Guillaume II résumait au début du XXème siècle la place des femmes dans la société allemande par l’expression : enfants, cuisine, église (« Kinder, Küche und Kirche »).
Aujourd’hui on estime que l’écart hommes-femmes en matière de durée du travail est 2 fois supérieur en Allemagne qu’en France. Ces dames travaillent 9 heures de moins que ces messieurs à Berlin – au lieu de 4 heures de moins à Paris, en moyenne ! Pour Guillaume Duval, la démographie aussi joue un rôle déterminant, rendant le cas allemand finalement pas si exemplaire. Et si ce qui « plombe » aujourd’hui la France, cette jeunesse qui nous coûte plus cher ici qu’en Allemagne (cherté des études, du logement, etc.), pouvait à terme se transformer en avantage concurrentiel ?
Laurent