Peut-on stigmatiser les petites gens ?

Culpabiliser. Faire porter la faute de leurs malheurs aux plus malheureux eux-mêmes. Stigmatiser ceux qui sont les plus déclassés, les laissés-pour-compte de la mondialisation. Telle semble être l’astuce et la grande tentation des partisans de l’ultralibéralisme, comme le rappelle Eloi Laurent, professeur à Sciences Po et à Stanford, dans Les nouvelles mythologies économiques.

Il y a très longtemps, seule la charité, la générosité individuelle et celle organisée par l’Église, pouvaient venir au secours des plus démunis. C’était bien avant l’avènement de l’État-providence. L’État ne voyait pas, à l’époque, en quoi il devait aider les pauvres gens. A l’époque, aux XVIIIème et XIXème siècles, riches et pauvres sont les mêmes. La différence de condition sociale est – simplement – liée à un mauvais usage de la vertu de prévoyance par les seconds. Point final ! Mais depuis, que de chemin parcouru et d’efforts en tous genre, pour tenter de résorber ce qui est conçu comme une « anormalité ». Malgré cela, précarité, pauvreté, quart-monde, fracture sociale…les termes changent mais la réalité persiste. Une réalité qui dérange et qui fait tâche au beau milieu des discours sur la richesse des nations, la croissance, le progrès, et tant d’autres belles histoires !

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Le problème de la pauvreté est loin d’être résolu mais, dans une vision comptable précédent le passage du Franc à l’Euro, on n’a cessé de répéter que tout cela coûtait trop cher. Allez dire à un malade que son traitement coûte trop cher… Après un sentiment d’abandon, il se peut très bien qu’il ressente cette même impression de culpabilité.

Culpabiliser les petites gens, c’est ramener chaque individu à sa condition personnelle. C’est croire, et faire croire, que le sort d’un individu n’est déterminé que par son action ou son inaction. Comme si chaque individu vivait « hors sol ». Comme si, déjà, l’État et la société n’existaient plus ! A une catégorie sociale plutôt discrète et faiblement organisée, c’est soumettre, telle une fatalité, la démission de l’État. Car depuis plusieurs décennies, alors que la croissance économique est tombée en panne et que l’austérité nous est imposée par Bruxelles, l’aide sociale patine ! Culpabiliser les petites gens, c’est crier haut et fort, aux classes moyennes et aux autres, que l’assistanat est non seulement une ruine pour les comptes publics, mais qu’en plus, moralement, c’est tout simplement inacceptable. Allez, au boulot, fainéants !! Retour à la case départ… du bon usage de la « vertu de prévoyance » ??

Les plus démunis redeviennent responsables de leur condition. Tout progrès ne peut plus être une questions des moyens, mais passe par le système D et la méthode Coué. S’il y a bien un endroit en pointe dans le domaine de la culpabilisation des petites gens, c’est bien outre-Atlantique qu’il faut regarder. Les États-Unis appliquent la « stratégie du choc » (Naomi Klein), depuis la crise de 2008. Alors que le « rêve américain » a pris du plomb dans l’aile, le chacun pour soi reste la norme. JFK l’avait dit, en 1961, à une époque pourtant bien plus faste au plan économique. « Vous qui, comme moi, êtes Américains, ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. » Le petit peuple ne doit rien espérer de grand venant d’en haut. Qu’il se débrouille !

A Chicago ou à New York, la ségrégation sociale (et raciale) fait des ravages dès le plus jeune âge. Selon le quartier d’origine, l’accès à une éducation de qualité, ouvrant des perspectives sociales et économiques intéressantes, laisse beaucoup à désirer. Le déterminisme social – « zip code effect » (en fonction du code postal) – est souvent très prégnant. Ainsi l‘insertion professionnelle, la santé et même l’espérance de vie… sont souvent fortement influencés par le lieu de vie ! D’un quartier à l’autre, la vie n’est pas du tout la même.

Pour culpabiliser les petites gens, Walmart et le fisc semblent s’être associés pour leur infliger une double peine. Chez Walmart, d’abord, les prix bas sont très largement liés à des importations. Ces prix bas, qui attirent les classes désargentées comme des mouches, sont le fruit des délocalisations vers des pays low-cost (Asie du Sud-Est). Les plus modestes creusent donc leur tombe, en termes d’emplois, à mesure qu’ils succombent aux sirènes des « petits prix »… Par ailleurs, le déversement les emplois industriels vers le numérique ne suffit pas à arrêter l’hémorragie. Fiscalement, l’administration Trump, si elle réserve de petits cadeaux aux héritiers et aux plus favorisés (baisse des droits de succession, allègement significatif de l’impôt sur les sociétés), n’a semble-t-il rien de prévu pour les petites gens. A l’image des taxes foncières, qui dans certaines villes augmentent de 10% par an.

Toute ressemblance avec ce qui se passe en Europe est-elle purement fortuite ?

Laurent

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