La France traîne derrière elle l’image de « pays d’assistés ». D’assistés, bien sûr, au plan social, ce qui justifierait le poids de l’État-providence. Alors le peuple, passif, attendrait gentiment que le pouvoir central, dans une vision « top-down », nous vienne à l’aide. Dans un simulacre de démocratie où l’événement principal serait l’élection présidentielle, sorte de « permis de gouverner ». Le tout avec très peu de contrôle qualité, quand viendrait l’heure du bilan ! Mais il existe un autre domaine, celui de l’environnement, qui semble ne pas déroger à cette règle de l’assistanat et de la passivité. La récente vague de pollution, à Paris, à Lille, à Grenoble ou à Lyon, remet sur le tapis la responsabilité de l’état.
Cet énième épisode de pollution atmosphérique est l’occasion de revenir aux sources de l’écologie politique. Et d’identifier deux visions assez différentes dans ce domaine. D’un côté, celle qui consiste à éviter le pire, la catastrophe. D’un autre côté, il s’agit plutôt de se pencher plus profondément sur nos modes de vies. Non pas en mode « gestion de crise » mais plutôt pour une amélioration continue. Nous pouvons retrouver, dans le premier cas, la vision de l’Allemand Hans Jonas. Elle a inspiré des films comme celui d’Al Gore ou, plus récemment, celui de Leonardo di Caprio. Des films-documentaires, dans lesquels la science et la technologie sont à la fois le problème (développement du nucléaire, prolifération de substances chimiques hors de contrôle, etc.) et la solution. Il s’agit d’une vision qui passe par une politique centralisée, une gestion administrative des problèmes, avec son bataillon d’experts. Une pratique de l’écologie plutôt autoritaire, « top-down » et dogmatique. Cette vision déplait à l’ensemble des partisans de liberté individuelle, de l’expérimentation, du droit à l’erreur et de la concurrence des idées.
A l’opposé de cette vision de Hans Jonas, le Français Serge Moscovici, propose une alternative. Moins connu du grand public que son fils Pierre, Serge Moscovici est un spécialiste de la psychologie sociale, passé par Princeton et Stanford. Il s’est intéressé à la question de la nature comme enjeu politique. En 1972, il publie le très explicite « La Société contre la nature » et devient au fil du temps un des leaders de la pensée écologique. Ce faisant, il croise à l’époque René Dumont, l’un des pionniers de l’écologie engagée au plan électoral (premier candidat « vert » à la présidentielle). Et puis un petit jeune, un certain Brice Lalonde, récemment recyclé dans la diplomatie environnementale.
Serge Moscovici commence ainsi son essai : « Pour se convaincre de sa singularité, le genre humain — ou la partie du genre humain qui s’arroge le droit de parler en son nom — élève des barrières autour de soi, se pose par contraste avec le reste des êtres animés. Certes, il a un mérite : celui d’exister. Au vu des nombreux échecs qu’enregistrent des organismes désireux de vivre ou de survivre, ce mérite est grand. Il le renforce dans sa conviction d’avoir réussi un exploit, d’être allé plus loin que quiconque, d’occuper une situation privilégiée dans la longue chaîne des êtres. Pourtant se penser unique et distinct n’est pas une condition de tout repos. »
En conclusion, il y a plus de quarante ans déjà, le sociologue souhaitait alerter : « L’emploi des produits chimiques, la circulation des véhicules, la radioactivité propagée dans le monde par les retombées des explosions nucléaires ont des conséquences délétères. Le climat de la terre change ou changera ; nous sommes les agents de ces modifications, en raison des énormes quantités de gaz carbonique répandues dans l’atmosphère. L’eau, de son côté, est empoisonnée par les énormes quantités de déchets que la civilisation industrielle y déverse. La nature est devenue un dépotoir, gémit-on. L’équilibre qu’une technologie et une science tempérées réussissaient à maintenir est détruit par une technologie et une science à haut rendement, le changement se révélant irréversible à la longue. Leurs effets sont stériles et stérilisants. »
Cet essai de Moscovici date, rappelons-le, de 1972, soit l’année de l’appel du Club de Rome (« Halte à la croissance » de Dennis Meadows). Si l’on revient dans le temps présent, on ne peut que constater l’inaction en haut lieu. Et à juste titre regretter le blocage des décisions politiques, en France comme ailleurs. Dans le même temps, loin des représentants démocratiquement élus, un élan populaire se développe dans le sillage d’un film comme « Demain » de Cyril Dion. Alors ne faut-il pas que chaque partie prenante prenne ses responsabilités, passe à l’action ? Ne serait-ce pas plus rationnel que d’attendre religieusement que le nuage de smog laisse définitivement place à un air plus respirable ?
Laurent