Le marketing est, selon une définition classique, un ensemble de techniques visant à promouvoir une marque, une offre de produits et de services. C’est aussi, selon ses détracteurs, un moyen de manipuler les foules et une forme de propagande à la sauce commerciale. Dans sa version moderne – car nul doute que les marchands de la Rome antique pratiquaient déjà le marketing – il serait né dans des universités américaines après la seconde guerre mondiale. A l’époque, les progrès de la recherche en psychologie ont ouvert les portes d’une utilisation massive des techniques d’influence et de modification des comportements individuels, notamment dans un contexte dit « consumériste » (30 Glorieuses en France, dont un des objets fétiches aura été le téléviseur).
Aujourd’hui, le marketing s’est généralisé, mondialisé et même banalisé. Ainsi parle-t-on de « marketing personnel » au sujet des techniques et des outils permettant à un candidat de se positionner efficacement sur le marché du travail. Mais le changement le plus fulgurant de ces dernières décennies est ailleurs : il s’agit du débarquement des techniques marketing dans la sphère politique. Qui a oublié le matraquage médiatique d’un G.W. Bush au sujet des armes de destruction massive prétendument détenues par le régime de Saddam Hussein ? Et qui peut nier l’influence du marketing (conventionnel ou digital) au niveau de l’opinion publique, lors d’une campagne présidentielle ? Et pas qu’aux États-Unis, n’en déplaise aux plus fiers européens.
Dans sa forme primitive, le marketing politique est devenu une nécessité dès la Révolution française, dès lors que la légitimité « naturelle » (héréditaire) des régimes précédents a ouvert le champ de l’opinion publique et d’un certain pouvoir entre les mains du peuple. Un pouvoir de vie ou de mort pour les représentants élus. Certains estiment que la France aurait adopté le marketing politique moderne en 1965, avec la première communication télévisée du candidat Jean Lecanuet.
Il y a deux façons de percevoir le développement du marketing politique. Le premier passe par l’inflation spectaculaire des dépenses promotionnelles, entre affichage, campagne web et grand messes (meetings). Le second repose sur l’inflation le recours systématique aux sondages et autres enquêtes d’opinion. Celles-ci servent autant le fond (quelle action politique, quelles priorités pour la France) que la forme (quelle communication pour les français). Mais à l’heure où la forme semble irrésistiblement l’emporter sur le fond, comme l’atteste l’absence de vrais débats (sauf à des heures tardives et sur des chaînes de faible audience).
Dès lors, la présence du marketing dans l’arène politique semble éloigner définitivement la conduite du pouvoir de l‘intérêt général. En effet, les statistiques, basées sur des sondages à répétition, permettent d’identifier des segments de population aux aspirations spécifiques et donnent une vision morcelée de la société. Il n’y a plus de nation, il n’y a qu’une succession de sous-groupes – des « segments de marché » en somme – que les politiciens tentent de séduire par une communication adaptée, avec l’appui des grands médias… dont les réseaux sociaux.
On peut voir une lente progression du marketing d’élection en élection. Cette progression passe par des scenarii, dignes des grandes campagnes de publicité. On y retrouve des slogans, des promesses. On y pratique une communication omnicanal et on n’hésite pas à user et abuser des techniques de la publicité comparative. Tous les coups sont permis pour évincer un concurrent trop embarrassant, un peu comme ces luttes que se livrent, dans le monde des affaires, les grandes marques (Apple contre Samsung, etc.)
Le marketing politique met l’accent sur les émotions et les sensations. Il compte sur le matraque médiatique pour influencer les choix électoraux. Il s’appuie sur le buzz et les « affaires » pour renforcer la crédibilité du vainqueur. Il s’appuie sur la mémoire sélective des auditeurs, des téléspectateurs et des internautes, pour vendre l’espoir. Fin psychologue, le marketing appuie systématiquement là où ça fait le plus mal : notre besoin de réassurance, nos désirs inassouvis, nos vieilles frustrations.
Le brouillage des représentations populaires en France a rendu certains positionnements inaudibles au fil du temps. Ainsi la traditionnelle segmentation (ou dichotomie) droite-gauche, issue de la lutte des classes et de l’opposition entre marxisme et capitalisme, a fini par voler en éclats. Ce brouillage est notamment lié au positionnement hybride de certains candidats. Mais aussi à leurs pratiques, mêlant libéralisme économique et valeurs sociales « de gauche ». La perception du « marché politique » français a été perturbée, notamment à partir des années 1980, par le développement de la scène politique européenne autour de grands projets commerciaux puis monétaires.
Malgré ses défis récurrents (faible intérêt pour le sujet au plan national, confiance historiquement basse dans la politique et les médias, etc.) le marketing politique survit au crises. La facture s’envole, au point qu’il faut de nombreux amis très généreux ou avoir touché le jackpot à la naissance si l’on veut tant soit peu percer sur la scène médiatique et donc électorale. Le marketing a traversé sans difficultés l’Atlantique et a très bien su s’adapter au comportement du consommateur-électeur européen. Ses « punchlines » et autres slogans jouent sur notre capacité de mémorisation sélective et jouent les charmeurs de serpents.
Ainsi le marketing a bien fait tâche d’huile, et n’a pas encore dit son dernier mot !
Laurent
🤓😂 jevois que la notion de marketing personnel a engendré une large réflexion !