Quel est le point commun entre Khéops, Louis XIV, Jean-Marc Ayrault et David Lebon ? Un pharaon égyptien ayant vécu il y a plus de 4000 ans, un monarque absolu français, un ex-Premier Ministre de l’ère Hollande et un directeur du développement d’EuropaCity… Pas grand chose en commun ! Mais à y regarder de plus près, ces quatre personnalités brillent ou ont brillé par leur goût pour les projets. De grands projets de préférence. Tout d’abord il y eut les pharaoniques pyramides égyptiennes, dont celles de Gizeh dont la construction aurait duré plusieurs décennies, peu regardante au sujet des conditions de travail (recours massif à l’esclavage).
Le château de Versailles, dès sa construction, contribua autant au prestige de la France qu’à sa déroute financière, aggravée par les dépenses militaires du Roi Soleil. Quant au projet, plus proche de nous, d’aéroport nantais, il vient d’être enterré au bout de presque un demi-siècle de tergiversations politiques. Il semblerait bien qu’il ne reste qu’un rêve industriel, disqualifié par son coût d’une autre époque et par son lourd impact environnemental.
Dernier des Mohicans, subsiste EuropaCity, certes moins connu que les trois projets ou réalisations précédentes. Mais ô combien d’actualité ! L’ex-ministre Laurent Fabius en personne avait mis en avant EuropaCity pour sa « création d’emplois non délocalisables ». Car voilà bien l’arme fatale de tout projet d’envergure. Dans un pays maudit de la croissance économique, en berne depuis la fin des 30 Glorieuses, terrifié par le chômage de masse, rien n’est trop grand pour tenter de colmater les brèches d’une économie qui prend l’eau. Vu d’en haut, du château de Versailles jusqu’au palais de l’Élysée, le chant des sirènes de l’emploi trouve naturellement un écho particulier. Au point de mettre hors-jeu les arguments contradictoires.
Sauf qu’il faut savoir compter. Car faire des estimations, des prévisions n’a rien de très difficile. Mais tenir ses promesses est une autre affaire. Et la Cour des Comptes est toujours à l’affût. Ainsi le chiffre de 11 500 emplois créés ne tiendrait pas compte des emplois forcément « détruits » aux alentours. Car la création d’un énième centre commercial au Nord de Paris ne serait pas un phénomène ex-nihilo. Avec des conséquence négatives pour l’activité des 4 ou 5 centres commerciaux préexistants, sans parler du petit commerce de proximité !
Quel est le modèle économique de ce type de méga-projet ? Comment se finance-t-il, sans aide spécifique des pouvoirs publics si ce n’est le prolongement du réseau de la RATP ? Le groupe Auchan, par l’intermédiaire de sa filiale de promotion immobilière, espère entrer dans ses frais par les loyers qu’elle devrait percevoir. Immochan et Wanda Group, son partenaire chinois, devraient donc exploiter cet immense centre commercial comme on exploiterait une rente de situation. Côté courses à l’hypermarché, par contre, les choses sont moins évidentes. En effet, la grande distribution française est entrée dans une phase de saturation (guerre des prix, hyper-concurrence) et de turbulences économiques.
Dans le collimateur de l’État, suite à des pressions citoyennes, la question environnementale est aussi dans la balance. Car les terres cultivables de qualité, en région parisienne, ont tout l’air d’être une espèce en voie de disparition. Mais à l’heure des circuits courts et de la sécurité alimentaire, il y a comme un hic devant ce projet qui viendrait exploiter la bagatelle de 80 hectares de terres, sur un projet total d’urbanisation (comprendre, de disparition de terres agricoles) d’environ 300 hectares.
Alors va-t-on de nouveau, suivant une longue tradition française, laisser la main à la grande distribution, ce géant économique aux pieds d’argile ? Le pari financier en vaut-il la chandelle, comme jadis d’autres projets pharaoniques ? En attendant, les riverains semblent se mobiliser et le projet se voit contraint de revoir sa copie, en mode plus durable. Énième « green washing » pour faire passer la pilule ? Encore une affaire à suivre…
Laurent