Le mois de mai n’est pas un mois tout à fait comme les autres. Il commence par un drôle de jour, bizarrement nommé fête du travail. Dans de nombreux pays, on fête le travail en chômant. Il serait plus judicieux d’appeler le 1er mai fête des travailleurs, workers (et non labour) day, etc. Mais attention à la connotation anarchiste, révolutionnaire et donc subversive ! Dans son ensemble, le mois de mai agit tel un sas de décompression avant la grande trêve estivale. Et puis il y a le fantôme de mai 68, ces images d’émeutes et de blocage complet d’un pays. Alors, le caractère violent de mai 68 explique peut-être pourquoi son cinquantenaire n’est pas plus célébré, pas plus médiatisé… à quelques exceptions près. Car célébrer mai 68, pour un pays n’est-ce pas un peu comme jouer avec le feu ?
Que reste-t-il de mai 68 ? Des progrès ou, du moins, une évolution de la société. Mais a-t-on gardé l’élan, l’espoir de la jeunesse de l’époque ? Après mai 68, il y a eu la libération des mœurs et, en parallèle, la libéralisation économique. Et si mai 68 avait été une grande fête du laisser-faire, mettant fin à toute autorité ? La liquidation de l’autorité politique ? Comprendre la légitimité et le respect des gouvernants et du contrôle étatique… La fin de l’autorité traditionnelle, dans la famille, des parents envers les enfants ? La fin de l’autorité des enseignants envers les élèves ?
Loin des milieux contestataires, l’après-mai 68 aura été une période musicalement débridée, mais économiquement sonnée. Sonnée par les fameux chocs pétroliers et alertée, dès 1972, par le Club de Rome et leur fameux « halte à la croissance »? La fin des Trente glorieuses n’aura pourtant pas sonné le glas de la consommation compulsive, ni du surendettement généralisé, fut-il public ou privé. Les travaux et les prises de position de Milton Friedman, notamment à l’ère du président Nixon, sont révélatrices d’un entêtement mondial, à foncer tête baissée. Et à liquider davantage toute forme d’autorité en dépouillant les pouvoirs publics.
« L’histoire est sans appel : il n’y a à ce jour aucun moyen […] pour améliorer la situation de l’homme de la rue qui arrive à la cheville des activités productives libérées par un système de libre entreprise »
— Milton Friedman, Entretien avec Phil Donahue (1979)
Enfant de mai 68, le laisser-faire est une doctrine agréable à lire et plutôt flatteuse. Elle valorise les individus, en mode empowerment. Elle leur donne un sentiment de pouvoir et de libre choix. Au passage, elle peut s’avérer infantilisante, par son laxisme aveugle, mais c’est ainsi. Cinquante ans après mai 68, on n’a donc pas fini de peser le pour ou le contre de cette révolution des rues et des esprits.
Laurent