La stratégie de l’émotion

Anne-Cécile Robert est journaliste et membre du comité de rédaction du très sérieux Monde diplomatique. En 2004, elle ne mâchait pas ses mots en accusant l’Union européenne de « coup d’état idéologique », « [érigeant] le libéralisme économique en objectif suprême de l’Union ». Jouant avec de grands rideaux de fumée, pour mieux distraire les foules. Elle vient de publier chez Lux la Stratégie de l’émotion. Un essai qui nous parle de la société d’aujourd’hui, des choix stratégiques effectués autant par les politiciens, par les grands médias que par… nous-mêmes !

Le titre fait délibérément écho au livre de Naomi Klein, activiste américaine auteure de la Stratégie du Choc. Naomi Klein, avec force exemples, décrivait l’exploitation de grands chocs politiques, de catastrophes naturelles ou d’opérations militaires, au profit d’un « capitalisme du désastre » (c’est le sous-titre de son livre, daté de 2008… tout un symbole !)

Sentimentalisme ambiant

Anne-Cécile Robert revient à la charge avec la Stratégie de l’émotion. En complément du concept de Naomi Klein, l’auteure française démontre que notre vie publique est gérée par nos émotions plutôt que par notre raison. On préférera étaler sur la place publique tel ou tel fait divers plutôt que de débattre calmement, rationnellement pourrait-on dire, de l’évolution actuelle de la société. Au-delà des médias, qui ne sont pas les seuls à porter le chapeau, nous avons aussi les dirigeants politiques qui « surfent sur la vague » et nous titillent au plan émotionnel. Tout à tour on joue avec nos peurs, notre colère, notre joie (fut-elle passagère), notre surprise, notre dégoût, etc.

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D’après Anne-Cécile Robert : « la classe dirigeante s’en servirait pour dépolitiser les débats et pour maintenir les citoyens dans la position d’enfants dominés par leurs affects. L’émotion abolit la distance entre le sujet et l’objet ; elle empêche le recul nécessaire à la pensée ; elle prive le citoyen du temps de la réflexion et du débat. » Le jeu en vaut toujours la chandelle pour qui veut conquérir le pouvoir, quelque soit ses idées, son programme. Les dernières campagnes électorales nous ont offert moult exemples de « vrai faux débats », où chaque candidat jouait la comédie, où l’échange et l’argumentation étaient inaudibles !

Un économiste d’une grande école de management précisait dernièrement qu’Emmanuel Macron lui-même, lors de la campagne présidentielle de 2017, avait dévoilé son programme économique presque au dernier moment. Pourquoi s’en priver ? La plupart des électeurs ne s’y intéressent pas. Souvent, l’économie paraît soit trop abstraite, soit trop ennuyeuse. La politique économique, comme d’autres thèmes d’ailleurs, semble échapper au commun des mortels. Elle nous donne le vertige, alors laissons-là aux « experts ». Quant au citoyen lambda, il ne faudrait pas trop l’ennuyer avec ces choses-là ! Encore moins l’inquiéter avant l’heure. Il faut persister à vendre du rêve. Sinon, la crainte ou le remord pourraient vite le faire glisser, consciemment, vers la tentation extrémiste.

« La conscience qui s’émeut ressemble assez à la conscience qui s’endort. » (Jean-Paul Sartre)
Sartre aurait peut-être dû ajouter : attention aux lendemains qui déchantent.

Laurent

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