Le tourisme, industrie planétaire actuellement à l’arrêt, remonte à des us très aristocratiques. Voyages dans l’entre-soi, pour les nécessités d’une future carrière politique, militaire ou encore diplomatique. Bien avant le programme européen Erasmus, démocratisant la mobilité étudiante, des jeunes gens de bonne famille, des hommes principalement, partaient perfectionner leur éducation et leur réseautage. Le Grand Tour aurait démarré au XVIème siècle, du temps où le latin avait la place de l’anglais ou, avant lui, du français.
Dans le Saint Empire Germanique, le Grand Tour, alias Cavalierstour, Kavaliersreise ou Junkerfahrt, n’avait pas pour but de découvrir des mondes différents ! Le conformisme de l’époque restreignait les choix des jeunes visiteurs. On était plus dans les figures imposées que dans les figures libres. Et les tuteurs n’étaient jamais loin des jeunes voyageurs. Il fallait donc voir… « ce qu’il fallait absolument voir » !

Nous avons tous hérité de ce Grand Tour, au travers du tourisme bien sûr, et de ce relent de conformisme, qui lui est indissociable ! Aujourd’hui encore, guides touristiques de papier, en chair et en os, ou numérisés, ressassent les « hauts lieux », ces incontournables. C’est dans Voyage of Italy, publié en 1670, que Richard Lassels, prêtre et écrivain de voyage, fit référence au « tour d’Italie » et au « tour de France ». Jeunes princes et autres nobles héritiers se devaient de parfaire ainsi leur éducation politique, sociale et économique.
Le Grand Tour aristocratique a connu des phases d’expansion, lorsque l’Europe était en rangs serrés politiquement et religieusement. Lorsque la circulation n’était pas trop entravée par quelque conflit. Le Grand Tour a aussi connu des phases de contraction, à chaque fois que l’Europe se divisait, que la papauté perdait le contrôle de la situation, que les familles royales s’entredéchiraient. Avec un étiage au moment des guerres et des pics de terreur révolutionnaire.
Après la Restauration, le Grand Tour revient en force. Alexandre Dumas, comme Goethe, prit le grand large et parcourut l’Europe. En 1832, le père de d’Artagnan, en route pour la Suisse, s’arrête à Chamonix, admire le Mont Blanc et ses conquérants. Une fois passé la frontière, il arrive à Martigny. Il offre à ses lecteurs l’insolite, lorsqu’il se régale, un soi-disant bifteck d’ours dans son assiette. Le Grand Tour, c’était ça aussi, prendre le large pour se libérer des regards inquisiteurs, quitte à se laisser aller à quelques affabulations !
Laurent