Enfin Sylvain !

Il est des prénoms parfois bien portés par leur titulaire. Sylvain Tesson, auteur du récit Dans les forêts de Sibérie, est dans la sylve comme un poisson dans l’eau. Cette lecture, en cette fin d’été, a constitué pour moi une expérience de sérendipité !

L’été est sans conteste la saison des livres. La trêve estivale est une magnifique parenthèse pour tous les lecteurs, petits ou grands. Le luxe absolu ? Se laisser le temps du choix. Prendre un livre un peu par hasard, sur un coup de tête. Et garder dans un coin de sa mémoire le doux souvenir d’un projet de lecture plus ambitieux, parfois victime d’une longue procrastination. Mais il y a parfois mieux encore, quelque chose de beaucoup plus noble qu’un retard involontaire. Une lecture qu’on s’est vu offrir en cadeau, un petit bijou dont on a la certitude qu’elle nous régalera. Alors cette certitude va nous permettre ce petit calcul, on temporise et on reprogramme « pour plus tard »…

Lorsque d’autres programment une activité particulière, que des artificiers planifient scrupuleusement la mise à feu d’un bouquet final, autour du 14 juillet. On se l’était promis, alors cette fois on songe sérieusement à une dernière lecture majeure, choisie avec attention. Comme un dernier voyage en forme de pas de côté, avant LE livre tant attendu, LA dernière ligne droite de nos lectures estivales !

Après un essai sur l’utopie réaliste, il était grand temps d’aborder, enfin, l’auteur convoité, un certain Sylvain Tesson. Et dans la ligne de mire, l’histoire d’un panthère et de l’affût, au cœur de l’Himalaya. Et c’est là qu’un dérapage incontrôlé mais pas totalement fortuit allait nous faire glisser dans les bras, si l’on peut dire, d’une romancière. Cap sur l’Himalaya – histoire de rester un tantinet cohérent – mais sur les traces d’une parisienne souhaitant venir en aide à sa meilleure amie. Kilomètre Zéro de Maud Ankaoua. Un régal, profond et feel good à la fois.

Sylvain peut bien attendre !

Maud nous entraîne dans un incroyable voyage spirituel, une expérience méditative aux sources de la philosophie orientale, loin de la vie parisienne et du monde occidental. Puissante leçon de vie et une intrigue qui nous fait dévorer chaque page. C’est d’ailleurs à la fois un cadeau qu’on se fait, dans cette boulimie de lecture, et, paradoxalement, un léger supplice. Un livre axé sur la méditation ne devrait-il pas se lire plus lentement ? L’auteur ne devrait-il pas prévoir des freins, des haltes forcées ? Ou prévenir le lecteur de ne pas s’emballer, ne pas s’empiffrer par gourmandise ou par excès de curiosité ?

Et cette panthère, alors ? Bien que toujours aussi motivé de retourner dans ce sanctuaire montagneux, c’est sur le récit autobiographique d’un ermitage sibérien que j’allais rejoindre le Sieur Tesson. Et sans regret aucun ! Avec Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson défie le monde moderne, la société productiviste, le matérialisme et, surtout, la vie urbaine. Loin de tout, loin de tous (la ville, Irkoutsk, est à trois jours en période hivernale, lors du début de son semestre baïkalien).

https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=7615151

Morceaux choisis :

  • page 48 : « La décroissance ne constituera jamais une option politique. Pour l’appliquer, il faudrait un despote éclairé. Quel gouverneur aurait le courage d’imposer pareille cure à sa population ? Comment convertirait-il une masse à la vertu de l’ascèse ? » (…) « La cabane est un terrain parfait pour bâtir une vie sur les fondations de la sobriété luxueuse. La sobriété de l’ermite est de ne pas s’encombrer d’objets, ni de semblables. »
  • page 172, citant Morand : « Il y a trois manières de commencer sa vie : le plaisir d’abord, le sérieux plus tard ; ou bien travailler dur au début, pour se revancher vers la fin ; ou enfin mener de front le plaisir et le labeur. » La cabane, c’est le lieu de la troisième manière.
  • page 172, alors qu’un phoque a bien failli se faire dessouder par un chasseur sibérien : « Il faudrait nous enlever un petit bout de néocortex à la naissance. Pour nous ôter le désir de détruire le monde. L’homme est un enfant capricieux qui croit que la Terre est sa chambre, les bêtes ses jouets, les arbres ses hochets. »

Sylvain Tesson, homme des bois, allège quelque peu la mauvaise conscience du lecteur urbain. Il jongle mieux que quiconque avec les mots. On ne sait plus si on lit un roman, un poème ou une saillie philosophique et lyrique.

Laurent

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