Mépris du camp d’en face

En plein milieu d’une énième aventure pédestre, sur les traces des rescapés du goulag, l’écrivain Sylvain Tesson revient sur une anecdote entre lui le Français et des autochtones sibériens. Tesson leur est redevable de l’hospitalité et, parfois, d’une aide logistique qui peut sauver la vie (transport, nourriture, abri pour la nuit). Perdu dans ses pensées et encore sous le choc de la rencontre vraie avec les autres, il finit par ressentir une gêne.

L’écrivain ne peut garder pour lui seul cette impression de non-réciprocité affective. Un manque de respect envers ce peuple et cette civilisation. Alors que Tesson ressent une certaine francophilie venant de ces Russes du bout de l’Asie, il partage un certain malaise avec ses lecteurs. S’ils savaient combien nous, Occidentaux, nous avons pris l’habitude de mépriser la Russie ? La Russie moderne ne serait-elle au fond et à nos yeux, qu’une farce ?

Le mépris de la chose post-soviétique est le fruit d’une ligne éditoriale assez claire, décisive et sans ambiguïté, sur les différentes crises qui ont traversé la Russie, sur ses terres comme à l’extérieur. Qu’il s’agisse de la guerre en Tchétchénie, du terrorisme ou des manœuvres sanglantes en Syrie. Maniant l’art de la dérision et de l’autocritique, ce que ne supportent pas les fiévreux du pouvoir, Tesson qualifie ses contemporains de Trissotins (personnage vaniteux , « triple sot »), en référence à Molière et ses Femmes savantes.

http://www.cnrtl.fr/definition/TRISSOTIN

Nous autres blanches colombes, dépositaires des Droits de l’Homme et de tant d’autres vertus, sommes habituées à l’état de protectorat et à ne pas regarder plus loin que le bout de notre nez. Il n’est jamais loin l’aigle américain (un vautour, selon les experts), notre grand frère diplomatique. Il donne le la de nos actions officielles. Mais à la vue de ce monstre qu’est l’aigle russo-sibérien à deux têtes, nous ne pouvons que frémir. Dans les films comme dans la vraie vie, le Russe… c’est forcément le méchant !

Le dialogue entre Europe occidentale et Russie semble impossible, tant Washington nous rappelle depuis toujours de « choisir notre camp ». Et puis c’est ainsi, c’est notre héritage. Nous aurions plus de dettes envers Washington qu’envers Moscou, et en cela nous ferons toujours fi du rôle majeur de l’Armée rouge dans la défaite allemande en 39-45. Alors tant pis pour la fourniture d’hydrocarbures.

A l’heure où, à peine remis du déprimant Covid, on s’est brutalement plongé corps et âme dans l’actualité ukrainienne, il serait judicieux de tenter une certaine prise de recul. Car l’absence de réflexion conduira toujours au désastre. Et le mépris du camp d’en face, fut-il le grand perdant de la Guerre froide et dirigé par un tyran, ne fera qu’entretenir une haine inutile. Nos certitudes gratuites et notre sentiment de supériorité nous mèneront tout droit dans le mur de la bêtise.

Laurent

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