Vous ne cliquerez peut-être même pas sur cet article, tant le vocable « poésie », vous fait déjà bailler d’ennui. Les alexandrins et les sonnets vous ont peut-être martyrisé au lycée, et l’autopsie des textes durant les longues heures de Français peut avoir définitivement ôté de votre esprit l’idée de lire de la poésie. Voire même de s’y abandonner comme sur un édredon moelleux, un jour de pluie.
Et pourtant, comme le dit Christian Bobin, « On ne traverse pas cette vie sans avoir tôt ou tard le cœur arraché ». Et dans cet arrachement, parfois, seule la poésie trouve un chemin vers notre cœur dévasté.
Les jours de soleil également, ou de bonheur pur, il n’y a guère que la poésie pour décrire le chant d’un oiseau ou le bruissement des feuilles dans le vent qui secoue le tilleul.
Un jour, sans crier gare, après Ronsard, Baudelaire, Aragon, Whitman, Dickinson, et tant d’autres, un poète contemporain a pris possession de mes émotions.
J’avais déjà eu un tressaillement majeur à la lecture de la lettre de Rimbaud à Paul Demeny, Le voyant, lorsque je passais le bac. De ces émois qui ne s’envolent jamais, que l’on peut convoquer de nouveau en fermant les yeux, et en se récitant des vers.
Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.
Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu ! Puisqu’il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu’aucun ! Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innombrables : viendront d’autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l’autre s’est affaissé ! – Arthur Rimbaud
Mais cette fois-ci, c’était très différent. Ce n’était pas seulement un poète sorti des tunnels du temps et des siècles précédents. C’était un homme comme vous et moi, reclus dans sa vieille ferme aux alentours du Creusot.
J’ai fait la connaissance de Christian Bobin, comme beaucoup, en 1991, avec Une petite robe de fête, premier succès de cet écrivain discret et retiré, « amoureux du silence et des roses », fuyant le milieu littéraire.
Celle qu’on aime, on la voit s’avancer toute nue. Elle est dans une robe claire, semblable à celles qui fleurissaient autrefois le dimanche sous le porche des églises, sur le parquet des bals. Et pourtant elle est nue – comme une étoile au point du jour. A vous voir, une clairière s’ouvrait dans mes yeux. A voir cette robe blanche, toute blanche comme du ciel bleu. Avec le regard simple, revient la force pure. – Christian Bobin
Ce n’était que le début d’une longue histoire, qui se poursuit aujourd’hui, avec la sortie en février 2014 de La grande vie.
« Les palais de la grande vie se dressent près de nous. Ils sont habités par des rois, là par des mendiants. Thérèse de Lisieux et Marilyn Monroe. Marceline Desbordes-Valmore et Kierkegaard. Un merle, un geai et quelques accidents lumineux. La grande vie prend soin de nous quand nous ne savons plus rien. Elle nous écrit des lettres .»
Christian Bobin.
Christian Bobin, c’est la joie pure, l’écriture fragmentaire et déliée d’un homme qui ne peut pas faire dix pas sans être terrassé par la beauté du monde. Chacun de ses livres est une ode à la simplicité, à la pureté. Quand il parle de ce « brin de lilas » sur une table de chevet dans une maison de retraite, il dit que les consolations du réel sont splendides, bien plus que les fausses consolations que l’on veut nous donner aujourd’hui. Pour Christian Bobin, « c’est le travail de l’écriture que de les nommer ».
Dans La dame blanche, il ressucite Emily Dickinson, cette orfèvre des mots, recluse dans sa maison d’Amherst, Il se faufile dans ses pensées, revêt sa robe blanche, et dérobe la clé de le porte de sa chambre. Contemporaine de Rimbaud, comme lui, elle a cherché à disparaître aux yeux du monde.
Ressusciter est mon livre préféré.. Je l’ai si souvent lu à haute voix, pour le plaisir de sentir les mots exploser sous la langue, comme une groseille mûre.
Il y a une étoile mise dans le ciel pour chacun de nous, assez éloignée pour que nos erreurs ne viennent jamais la ternir.
J’ai trouvé Dieu dans les flaques d’eau, dans le parfum du chèvrefeuille, dans la pureté de certains livres et même chez des athées. Je ne l’ai presque jamais trouvé chez ceux dont le métier est d’en parler.
Pour mieux connaître Christian Bobin :
Emission La Grande Librairie sur France 5 avec Christian Bobin, février 2014
http://www.youtube.com/watch?v=P95AbfOkvGA La poésie comme chemin spirituel
http://www.youtube.com/watch?v=5YiwhsK6_bo « La foi, c’est la vie à sa plus grande intensité »
Articles :
http://www.lexpress.fr/culture/livre/christian-bobin-nous-ne-sommes-pas-obliges-d-obeir_1219139.html
Œuvres (Wikipédia)
- Lettre pourpre, Éditions Brandes, 1977
- Le feu des chambres, Brandes, 1978
- Le baiser de marbre noir, Brandes, 1984
- Souveraineté du vide, Fata Morgana, 1985
- L’homme du désastre, Fata Morgana, 1986
- Le huitième jour de la semaine, Lettres Vives, 1986
- Ce que disait l’homme qui n’aimait pas les oiseaux, Brandes, 1986
- Dame, roi, valet, Brandes, 1987
- Lettres d’or, Fata Morgana, 1987
- Préface de Air de solitude de Gustave Roud Éditions Fata Morgana 1988
- L’enchantement simple, Lettres Vives, 1989
- La part manquante, Gallimard, 1989
- Éloge du rien, Fata Morgana, 1990
- Le colporteur, Fata Morgana, 1990
- La vie passante, Fata Morgana,1990
- La femme à venir, Gallimard, 1990
- L’autre visage, Lettres Vives, 1991
- La merveille et l’obscur, Paroles d’Aube, 1991 – Entretiens avec Christian Bobin, (ISBN 2-909096-00-9)
- Une petite robe de fête, Gallimard, 1991
- Le Très-Bas, Gallimard, 1992 – Prix des Deux Magots 1993, Grand Prix Catholique de Littérature 1993
- Un livre inutile, Fata Morgana, 1992
- Isabelle Bruges, Le temps qu’il fait, 1992
- Cœur de neige, Théodore Balmoral, 1993
- L’Éloignement du monde, Lettres Vives, 1993
- L’Inespérée, Gallimard, 1994
- L’Épuisement, Le temps qu’il fait, 1994
- Quelques jours avec elles, Le temps qu’il fait, 1994
- L’Homme qui marche, Le temps qu’il fait, 1995
- La Folle Allure, Gallimard, 1995
- Bon à rien, comme sa mère, Lettres Vives, 1995
- La Plus que vive, Gallimard, 1996
- Clémence Grenouille, Le temps qu’il fait, 1996
- Une conférence d’Hélène Cassicadou, Le temps qu’il fait, 1996
- Gaël Premier, roi d’Abime et de Mornelongue, Le temps qu’il fait, 1996
- Le jour où Franklin mangea le soleil, Le temps qu’il fait, 1996
- Donne-moi quelque chose qui ne meure pas, Gallimard, 1996 – Photographies en noir et blanc d’Édouard Boubat accompagnées des textes de Christian Bobin – rééd. 2010
- Autoportrait au radiateur, Gallimard, 1997
- Mozart et la pluie suivi de Un désordre de pétales rouges, Lettres Vives, 1997
- Geai, Gallimard, 1998
- L’Équilibriste, Le temps qu’il fait, 1998
- La grâce de solitude, Dervy, 1998 – Dialogue avec Christian Bobin, Jean-Michel Besnier, Jean-Yves Leloup, Théodore Monod (ISBN 2-85076-959-2)
- La Présence pure, Le temps qu’il fait, 1999
- Tout le monde est occupé, Mercure de France, 1999
- Ressusciter, Gallimard, 2001
- La Lumière du monde, Gallimard, 2001
- L’Enchantement simple et autres textes, Gallimard, 2001
- Paroles pour un adieu, Albin Michel, 2001
- Le Christ aux coquelicots, Lettres Vives, 2002
- Louise Amour, Gallimard, 2004
- Prisonnier au berceau, Mercure de France, 2005 (ISBN 2-7152-2592-X)
- Une bibliothèque de nuages, Lettres Vives, 2006
- La Dame blanche, Gallimard, 2007
- Les ruines du ciel, Gallimard, 2009 (Prix du livre de spiritualité Panorama La Procure
- Donne-moi quelque chose qui ne meure pas, photos d’Édouard Boubat, Gallimard, 2010
- Carnet du soleil, Lettres Vives, 2011
- Un assassin blanc comme neige, Gallimard, 2011
- Éclat du Solitaire, Fata Morgana, 2011
- L’homme-joie, L’Iconoclaste, 2012
- « Le bouclier », La Chair et le Souffle, vol.8, n˚2, 2013, p. 48-56
- La Grande Vie, Gallimard, 2014
Bel article, bel hommage à un si bel auteur. Merci 🙂
Toujours ravie de partager cet auteur avec ceux qui l’aiment. Merci également ! 🙂
Un article qui donne envie de découvrir cet auteur ; à plus pour vous dire si je partage l’engouement ……
Renée M.
Bonjour,
Merci pour ce belle article qui donne envie de lire et relire les livres de Christian Bobin.
J’en profite pour vous partager que nous avons créé il y a 3 ans un spectacle à partir de son livre Autoportrait au Radiateur. Celui s’intitule « Le chant des radiateurs ; murmures pour voix et violoncelle ». Il est à découvrir sur : http://www.artiflette.com/spectacles-artiflette/le-chant-des-radiateurs/le-chant-des-radiateurs.html
N’hésitez pas à en parler à ceux que cela peux intéresser.
Merci et bonne continuation avec votre blog !
Ignace
Bonjour
Merci à vous ! C’est toujours un plaisir de partager la lecture de cet auteur si sensible.
Je mets votre lien dans l’article. Belle initiative !
Bonne continuation à vous aussi.
Christèle
A reblogué ceci sur light up my mindet a ajouté:
A découvrir, le spectacle inspiré d' »Autoportrait au radiateur » de Christian Bobin, par Ignace Fabiani et Claire Davienne http://www.artiflette.com/spectacles-artiflette/le-chant-des-radiateurs/le-chant-des-radiateurs.html
Pingback: Ode à Renaud | light up my mind