L’homme est un sacré voyou, vous ne trouvez pas ? Nous avons tous au fond de nous un côté rebelle, voire impertinent. Les créatifs et les inventeurs sont de sacrés voyous parce qu’ils dérangent l’ordre des choses. [Revoir les farfelus, NDLR] Quelle terrifiante liberté de pensée, folie créative durant les deux siècles passés (pensez à Albert Einstein, aux frères Wright ou à Alfred Nobel…) Plus récemment, quel génie révolutionnaire chez ces bricoleurs militaires qui ont conçu Arpanet – l’ancêtre d’Internet – suivis par les ingénieurs du CERN qui ont mis en place le World Wide Web. Un Web cliquable ou tactile si banal qu’on ne voit plus les « 3w » pourtant si « in » hier ! Combien de savants fous de l’ère digitale, d’apprentis sorciers, qui ont libéré l’homme (pour le meilleur et pour le pire) une fois de plus !
Savaient-ils qu’ils allaient nous libérer du savoir encyclopédique « à l’ancienne », jadis réservé aux encyclopédies version papier, avec droits d’auteur, campagnes de pub et vendeurs à chaque coin de rue ou presque ? Qu’on se souvienne des réactions méprisantes des éditeurs d’encyclopédies et de leurs auteurs universitaires. Les pionniers du Wiki savaient-ils qu’ils allaient nous libérer des fastidieuses recherches de savoir. Et pour nos communications écrites, que de contraintes à l’époque du monopole « courrier-enveloppe-timbre-facteur » et toute le temps passé. Idem pour les communications orales, jadis si coûteuses (qui se rappelle du coût à la minute d’un appel téléphonique « à l’étranger »?) et devenues si faciles et conviviales avec l’ajout de la vidéo ! Alors oui, quelle libération pour tous les hommes et toutes les femmes, grands communicants par nature, curieux par nature (loué soit Wikipedia et consorts).
C’était sans oublier l’homo œconomicus qui attendait son heure, gentiment, quand Internet est devenu « 2.0 ». C’est là que nous avons tous, curiosité oblige, mis le doigt dans un sacré engrenage. Internet allait passer à la vitesse supérieure, d’un simple outil de communication à un « big business ». E-commerce contre « brick and mortar », propriété privée et brevets contre partage et logiciels et autres productions « libres » ou open source. C’était juste hier, mais c’est presque du passé. Les mécontents ou les victimes diront que « le mal est fait », voyant la mort des libraires de quartier, la souffrance des Decitre ou Fnac. Voyant l’industrie du disque et celle du voyage sérieusement endommagées. Des industries balayées par Napster puis E-mule, I-tunes/Shazam/Deezer pour l’une, par Booking/TripAdvisor/Couchsurfing pour l’autre. Il est clair que parmi d’autres technologies dites digitales, Internet aura largement accéléré la productivité et détruit de nombreux emplois. Terrifiant. Un jeu à somme non nulle, socialement parlant, malgré la création de nouveaux emplois et de nouveaux métiers.
Terrifiante liberté. Depuis le siècle des Lumières, tout le monde n’avait que ce mot à la bouche : liberté ! Comme pour se venger des malheurs et des contraintes d’avant, du féodalisme à l’autorité religieuse et morale qui limitaient l’existence nos « pauvres ancêtres ». Liberté chérie des révolutionnaires, libération des échanges des premières et deuxièmes révolutions industrielles. Mais les modèles d’hier deviennent démodés. Le « devoir social» d’être propriétaire d’à peu près tout, avec ses coûts fixes induits, et le devoir de respecter les brevets, monopoles du passé, finissent par lasser. De plus ces modèles sont violents, non durables. Alors il tombe plutôt bien le grand réseau mondial, notre cher couteau suisse numérique. Non seulement il nous permet de s’exprimer, se rencontrer ou rester en contact. Il nous permet aussi d’échanger bien plus que des produits et services « à l’ancienne ». Internet permet l’échange d’idées, sans forcément arrière pensée mercantile ! Parfois juste pour le fun.
En voici deux exemples :
– Shareable, magazine mondial de l’économie du partage ou « shared economy ». Et voilà que, libérés des contraintes d’hier, l’homme redécouvre que quasiment tout est partageable. Que cela tombe bien en période de budgets contraints ou d’envie de changer de système. D’un naturel sceptique ou conservateur, nous commenceront par penser que ce n’est qu’une fièvre passagère. Une appli à venir pour trouver de la nourriture gratuite ? Ou ça, dans des magasins ? Mais non, « it’s sharing, stupid » (pour paraphraser Clinton). Falling fruit, à suivre sur shareable.net
Quand on voit l’écrasant poids du logement et de la mobilité dans nos budgets mensuels, on comprend mieux l’élan donné à la « shared mobility » (vélos, voitures, etc.) et au partage de logement (AirBnB, Couchsurfing entre autres). Et ce n’est pas tout…
– Shared earth, pour ceux que le statut de « chasseur-cueilleur » effraie (dont le refrain serait « on ne va quand même pas revenir à la bougie ») mais qui se soucient de leur alimentation et valorisent l’optimisation des ressources. Il s’agit de relocaliser la production alimentaire, rapprocher les gens. Optimiser les espaces productifs au plus près des lieux de consommation. Ce service collaboratif qui a démarré aux Etats-Unis et s’étend au-dehors est résolument orienté bio/durable. Incroyable mais vrai : il rapproche les gens à l’heure où l’on croyait les villes remplies de gens « anonymes » et solitaires, seulement entourées de béton !
Ce rapide aperçu est fabuleux en termes de perspectives. Il rapproche les gens, il permet de relativiser les difficultés du quotidien. Il donne du sens autant à ceux qui entreprennent qu’aux membres qui ne sont plus de simples consommateurs passifs. Fabuleux comme une fable pour enfants alors que l’humanité se voyait engluée en pleine crise d’adolescence, à l’âge de tous les excès. Âge ou l’on ne veut plus lire de fables. Méfiance et peur pour les parents, pour les anciens « qui ne comprennent plus rien ».
Non content de devenir une grande surface planétaire virtuelle, voici venus les jeunes trublions de la production décentralisée (imprimantes 3D) et relocalisée, de la production d’électricité partagée et stockée (smart grids). Les entreprises d’hier, dignes héritières de l’économie capitaliste, sont aux avant-postes (Schneider Electric, ABB, Siemens pour ne citer que les plus gros faiseurs), car il faut bien construire les réseaux et trouver des solutions techniques. Mais quel terrifiant élan libérateur, encore et toujours…
Terrifiant tout autant pour les politiques que pour certains grands groupes au pouvoir centralisé. Car le principe même qui régit Internet c’est bien le partage, la décentralisation (Arpanet était conçu pour pouvoir continuer à communiquer en cas d’attaque extérieure), la collaboration qui permet l’intelligence colective et l’amélioration continue. Il y a fort longtemps, les spécialistes du management avaient signé l’arrêt de mort des organisations d’entreprises trop verticales, trop hiérarchisées et au pouvoir trop centralisé. Mais comme d’habitude, la plupart des centres de pouvoir économique et politique, par nature centralisés (quand on a le pouvoir, pourquoi le partager?) n’ont pas écouté. « Nous savons » disaient-ils comme des enfants pris en faute ! Ils ont juste voulu maintenir une frontière artificielle entre les règles de bon sens du management et la réalité de leurs cercles fermés de pouvoir (Washington, Bruxelles, Davos, le FMI, et tous les « head offices » économiques).
Pour le moment, officiellement du moins, l’économie partagée ne fait peur à personne. Au pire elle fâchera quelques uns, comme du temps des premiers téléchargements et streamings, légaux ou non. Pourquoi par exemple se soucier des initiatives de ces petits producteurs d’électricité durable et stockée (comme la société française Akuo). La rhétorique est connue : si l’on nous pose la question, on minimise, on passe sous silence, on dévie le sujet ou on fait montre de scepticisme. C’est la parade classique, vieille comme Hérode, de tous les conservateurs résistants ! Il faut jouer la montre pensent les anciens… mais il faut agir et vite, disent les modernes ! Et aujourd’hui, cette économie d’un genre nouveau – boostée par Internet et légitimée par un sentiment d’urgence globale – nous fait redécouvrir l’organisation coopérative et les « communaux », qui en Suisse et ailleurs existent depuis des siècles et n’ont pas attendu Adam Smith pour montrer leur utilité.
Laurent
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