On parle d’effet cocktail lorsqu’on se réfère à la synergie entre deux composants soit d’un médicament, soit d’un produit phytosanitaire. Rappelons que la synergie peut être résumée par cette étrange formule : 1 + 1 = 3 (en tout cas >2).
Mais l’effet cocktail est, l’air de rien, un sujet délicat. Car il touche en fait à une contradiction entre le monde scientifique et le monde réel, loin des labos, sur le terrain de la politique et de l’industrie. On sait assez bien démontrer l’efficacité d’un composé chimique, pris isolément, que ce soit pour lutter contre un maladie humaine (en pharmacologie) ou pour protéger une plante contre telle ou telle menace (champignons, insectes…) Mais certains chercheurs ont récemment montré que l’effet cocktail pouvait aller à l’encontre de vieilles croyance sur la toxicité de tel ou tel produit. Une sorte de « double effet » stressant qui expliquerait par exemple la surmortalité des abeilles, selon l’INRA d’Avignon. Délicat d’admettre que les autorités, prenant appui sur la recherche scientifique, nous « auraient menti » (pour reprendre l’expression d’un ancien coureur cycliste). Ou du moins auraient, plus ou moins sciemment, minimisé les risques pour notre santé, ou pour celle de la nature, qui nous touche par ricochet.
En fait, l’effet cocktail peut même renverser le dogme contenu dans l’expression : « la dose fait le poison« . Il est communément admis que plus ou « abusait » de tel ou tel composé (sucre, graisse saturée, alcool, goudrons de cigarette, etc.) plus on risquait à terme de contracter tel ou tel problème de santé, plus ou moins irréversible. Oui sauf qu’en raisonnant de manière trop analytique et pas assez globale, on s’éloignait fortement du monde réel. Car la vie réelle est constituée d’interactions. Pour le meilleur et pour le pire ! Tout organisme humain, animal ou végétal, interagit avec son environnement. Chaque cellule est affectée par des interactions entre des éléments chimiques qui entrent en contact avec notre organisme (peau, système digestif et respiratoire). Alors peut-on indéfiniment contourner cette réalité ?
Le Professeur Gilles-Eric Séralini a décortiqué durant de nombreuses années la communication cellulaire ainsi que l’effet, ou plutôt les « effets cocktails ». A terme ces interactions chimiques finissent par rendre certaines cellules isolées les unes des autres. De « bonnes communicantes » elles deviennent « autistes » et tournent mal. Elles deviennent alors malignes. Comme si elles n’en faisaient plus « qu’à leur tête ». Folie cancéreuse. Alzheimer, Parkinson, pathologies diverses.
Fabrice Nicolino dans le cadre de son nouveau livre consacré à l’industrie chimique, « Un Empoisonnement Universel », nous décrit l’explosion des substances chimiques créées par l’homme, la plupart du temps sans avoir à la clé d’études longues sur leur toxicité. Des substances que l’on retrouve dans l’eau, l’air de nos maisons ou dans l’atmosphère. Et jusque dans nos assiettes. Des substances présentes après la deuxième guerre mondiale dans l’agriculture intensive (car il fallait bien reconvertir l’industrie chimique « de guerre » en direction d’applications civiles, et augmenter les rendements) et dans l’industrie de transformation. Engrais, pesticides, additifs, conservateurs, texturants artificiels qu’aucun cuisinier consciencieux n’oserait offrir à ses hôtes ! Mais à l’échelle d’une usine, loin des yeux et loin du coeur des consommateurs… il en va tout autrement ! Notons que l’étude sur le maïs transgénique et le Round Up, conduite par l’équipe de Séralini à Caen, a été financée en partie par un géant français de la grande distribution. Histoire d’y voir plus clair et d’anticiper un éventuel nouveau scandale alimentaire ? En attendant, certaines de ces substances, nous les transmettons à nos enfants au stade embryonnaire, façon « cadeau de bienvenue » dans un monde de brutes épaisses.
Evidemment, des solutions existent. Nous le savons en 2015 comme depuis très longtemps. Alors c’est une affaire autant de volonté individuelle – de regard sur sa propre façon de consommer et d’acheter – que de volonté collective. Volonté de contrôler plus rigoureusement les producteurs, d’encourager des pratiques plus saines, d’utiliser un marketing « porteur de sens » et d’innover. Et pourquoi pas, aussi, de nouveaux emplois, dans de nouvelles filières ? Il faudra du temps, mais le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?
A voir ou à revoir, le documentaire de Marie-Monique Robin : Notre Poison Quotidien. Bon appétit !
Laurent