Moins de 60 dollars le baril, alors qu’il flirtait avec les 150 dollars avant la crise des subprimes. Il est de bon ton, lorsqu’un élément important de coût (pour les entreprises et les ménages) comme le pétrole vient à baisser, d’acclamer la bonne nouvelle. Bonne nouvelle pour la grande fabrique mondialisée, le grand export, le transport international. Bonne nouvelle aussi au plan macroéconomique, à condition de garder la « foi » qu’une baisse des coûts puisse stimuler la demande et redonner du tonus au PIB. A condition également que tout cela puisse profiter à tous, via la création d’emploi et le pouvoir d’achat. A condition d’y croire… collectivement.
Une lecture fine des statistiques laisse pourtant à croire que tendanciellement, l’horizon des trente dernière années a été caractérisé par un effrittement du pouvoir d’achat moyen et par un accroissement du chômage assez peu réversible, malgré les déclarations gouvernementales. Malgré des statistiques officielles souvent enjolivées et biaisées par convenance politique. Alors en quoi cette nouvelle baisse – pour l’instant conjoncturelle – du cours du pétrole viendrait-elle fondamentalement changer la donne économique et sociale ? Ne nous emballons pas, et ne nous laissons pas trop vite ennivrer par ce soudain espoir venu de notre sous-sol.
La baisse du prix du pétrole a également été, ces dernières semaines, perçue par les marchés comme un mauvais signe pour le business dit « durable ». Certains économistes regrettent, en l’absence d’une prise en compte sérieuse des effets négatifs du pétrole – l’ensemble des coûts environnementaux et sanitaires liés à son exploitation et son usage – que son coût perçu par la société soit resté trop faible. D’autres voient un cours baissier comme une mauvaise nouvelle pour les projets d’exploration coûteux, voire un sale coup pour le miracle (ou mirage ?) du pétrole de schiste du Dakota du Nord. En l’absence d’une nouvelle flambée de l’or noir et en l’absence d’une régulation internationale (taxation progressive, marché de droits à polluer efficace, etc.) les acteurs de l’énergie, de la mobilité ou de la construction durable ont encore du soucis à se faire.
A l’heure de l’économie circulaire, durable et responsable, cet or noir au rabais ne fait-il pas un peu tâche ? C’est ainsi que le milliardaire Richard Branson a récemment renouvelé un appel à une taxation du carbone (et donc de l’ensemble des hydrocarbures dont fait partie le pétrole). Il voit la baisse de son cours comme l’occasion idéale d’intégrer une taxe mondiale à son prix.
L’optimisme de certains observateurs, suite à la chute des cours du pétrole, renvoit parfois au déni des plus conservateurs en économie. Ceux qui tendent à confondre un phénomène conjoncturel (donc passages et réversible) avec un phénomène structurel. Or l’économie, fusse-t-elle américaine ou française, a besoin de beaucoup plus que d’un petit coup de booster conjoncturel. Venant du pétrole, cet opium quotidien de l’économie moderne, il y a fort à perdre que de croire passivement en la vertu de la patience, du genre « vous allez voir, ça va repartir… »
Alors finalement, cette récente baisse n’annonce peut-être rien de bien nouveau. C’est juste un marqueur de plus entre ceux qui veulent continuer de pratiquer l’économie « comme avant », suivant la « one best way » héritée du siècle dernier, et les plus progressistes, ceux qui à l’image d’un Elon Musk, veulent nous sortir de ce liquide gluant et notoirement toxique… Le marqueur de divisions internes au sein des pays producteurs de pétrole, OPEP et hors-OPEP. Le signal supplémentaire d’un système qui tourne en rond et s’essoufle, n’osant pas trancher dans le vif, de peur de pénaliser certains acteurs économiques et politiques.
Rejoignant volontiers des observateurs de l’économie et de la géopolitique, deux certitudes persistent :
1) L’existence d’un prix plancher autour de 30 dollars, en-dessous duquel pour des raisons de coûts d’extraction, aucun producteur ne produira davantage et, refermant le robinet, limitera l’offre ce qui fera mécaniquement remonter le cours du pétrole.
2) Des pays comme la Russie et l’Arabie Saoudite, fournisseurs n°1 et 2 mondiaux, ont calé leurs budgets sur des cours de 100 et 95 dollars. Ils ne sauraient donc durablement se satisfaire d’un si grand manque à gagner. D’autant que chacun est caractérisé par une grande (Russie) voire très grande (Arabie Saoudite) dépendance financière à l’or noir. Leur trésor de guerre peut les aider à tenir un certain temps. Mais dans six mois ils comptent bien voir la fin de la déflation pétrolière.
Laurent