Faut-il enseigner la théorie du complot ?

Voici une question que ne s’est pas trop posée Najat Vallaud-Belkacem, lorsqu’en tant que Ministre de l’Education Nationale, le 9 février dernier, elle a introduit des séances de sensibilisation et d’éveil critique face à ce qui est présenté comme une menace majeure pour la population française : celle de se laisser tenter par des présentations simplistes et déviantes d’événements tragiques de l’actualité. Cette menace illustre le refus, chez certains citoyens, des explications officielles. Ouh, les vilains, pensent déjà certains internautes… Sur son site, Madame la Ministre utilise une accroche qui donne le la : « Selon un sondage, plusieurs millions de citoyens américains penseraient que leur Gouvernement est composé de reptiliens. Le chiffre pourrait faire sourire, s’il ne dévoilait la puissance et le pouvoir des théories du complot dans le monde d’aujourd’hui. Si une théorie aussi absurde rencontre une telle adhésion, des théories en apparence plus crédibles rencontrent un succès beaucoup plus conséquent, et beaucoup plus dangereux. » Puissance et pouvoir : voilà les ennemis de tout gouvernement digne de ce nom !

Il est tout à fait louable, lorsqu’on est « aux manettes », de montrer son sens des responsabilités. Réagir face aux théories du complot, c’est un peu dans la même veine qu’un communiqué d’un autre ministère, celui de la Santé, du type : « réagir face à l’épidémie de grippe A » ou « réagir face à la pandémie de l’obésité en Europe ». Les politiques excellent dans l’art de désigner un coupable, un problème auquel, tels des secouristes, ils accourent pour administrer une série de solutions. Dans le domaine de l’éducation civique et de l’appréhension de l’information, toute initiative qui permettrait d’élever le niveau, le débat démocratique, est souhaitable. Mais dans le cas de la théorie du complot, il y a tout de même un écueil à éviter. Celui de refermer l’esprit des gens, de censurer – dès le plus jeune âge – les opinions dissidentes ou divergentes. Et cela au nom de la morale, au nom d’un prétendu appel au bon sens. En 2016, au nom de l’état d’urgence !

theorie1

Londres, 2011 – Alex Segre / Rex Featur/REX/SIPA

THEORIE OU PRATIQUE DU COMPLOT ?

Car si l’on ne peut que sourire face à la théorie d’un « gouvernement de reptiliens » chez nos cousins d’Outre-Atlantique, il y a beaucoup trop de sujets délicats, dans toute l’histoire contemporaine, qui ne supportent pas le jugement d’office du type « allez, la revoilà, la théorie du complot ». En effet, l’appellation « théorie » est en elle-même trompeuse et réductrice. Qui peut nier l’existence, à côté de cette théorie, d’une « pratique du complot » ? La pratique du complot, le calcul politique en bande organisée, la manipulation à grande échelle de la population, surfant sur des événements terrifiants. Or les complots ne sont pas l’apanage des quelques malfrats de la sphère privée, Al Capone et consorts ! Les complots ont toujours existé dans la sphère publique, en politique. Un livre tout entier y est consacré, écrit par l’Américaine Naomi Klein. Son titre : la stratégie du choc. D’après l’auteure, qu’ont en commun le coup d’Etat de Pinochet au Chili en 1973, le massacre de la place Tiananmen en 1989, l’effondrement de l’Union soviétique, les attentats du 11 Septembre, la guerre en Irak le cyclone Katrina ? Tous ont partie liée avec l’avènement d’un « capitalisme du désastre ». Un travail de sape des valeurs démocratiques, remplacées par la barbarie de la spéculation et la seule loi du marché.

METHODOLOGIE

Mais qu’il est facile de sans cesse jouer la diversion, de faire illusion en termes de pouvoir politique et d’autorité. Qu’il est vain, aussi, de jouer les maîtres ou maîtresses d’école, dès qu’une partie du troupeau s’égare. Car si des illuminés radicaux pullulent sur Internet ou sur radio trottoir, si les rumeurs qu’ils colportent peuvent être jugés répréhensibles, leur lecture « complotiste » de l’actualité nous ramène à la quête du sens. Leurs analyses farfelues en disent long sur le désamour populaire vis-à-vis de la pensée unique et du discours des énarques. Et du côté du gouvernement, aborder le sujet de la théorie du complot c’est un peu comme jouer avec le feu. Que l’on nous explique qui est-ce qui « complote » à la sortie des urnes, une fois les élections passées, trompant systématiquement la confiance de ceux qui votent. Malgré cela, un peu de méthodologie, pour les enfants comme pour les adultes, ne ferait de mal à personne : vérifier ses sources, varier et croiser ses sources d’information. Et ne pas se jeter, tel un(e) affamé(e), sur la première explication qui passait par là ! C’est une question de méthode, de rigueur et, au final, de cohérence dans l’exercice du droit de vote de tout un chacun. Par contre si les autorités insistent trop sur cette histoire de théorie, façon « chasse aux sorcières », cela risque d’attiser une attitude d’intolérance, d’incrédulité et de haine face aux opinions déviantes. En termes de cohésion sociale, cela ne mènera nulle part. A bon entendeur…

Laurent

3 réflexions sur “Faut-il enseigner la théorie du complot ?

  1. La démocratie est un bien précieux qui appelle une vigilance au quotidien de tous et particulièrement de nos politiques : comment vont-ils voter Assemblée et Sénat sur la future loi de la déchéance de la nationalité avec intégration à la Constitution alors que cette loi pourrait compléter les dispositions actuelles en cours sans changement de la Constitution ; en effet aujourd’hui il n’y a pas de danger majeure avec les Socialistes actuellement au pouvoir du moins on peut le penser, mais demain avec des régimes extrêmes : quid de la manipulation ????

    • On peut en effet tenter de se rassurer sur la capacité de bienfaisance des uns (certains partis au pouvoir, selon l’alternance classique gauche-droite même si tout le monde n’est pas d’accord sur le sens de cette soi-disant opposition idéologique) à laquelle on opposerait la capacité de nuisance des autres (les partis dits « extrémistes »). Mais le ver est dans plus d’un fruit, plus d’un parti politique. En matière de vigilance citoyenne ou démocratique, il y a vraiment du pain sur la planche. D’abord parce que tout le monde se contrefiche de l’action précise de « nos politiques ». Les nouvelles des journeaux, dans la rubrique politique, ne sont plus lues sinon survolées comme une distraction de plus. Les votes n’ont presque plus que valeur de sanction. Plus personne ne prend le temps, ni côté médias ni côté politiciens, d’effectuer un réel bilan sur les actions menées, les lois votées et leur effet réel. Si ce n’est pour une énième tentative de nous vendre du réchauffé en mode « y a qu’à faut qu’on » ! Ensuite à l’heure de l’individualisme triomphant, du court-terme et des smartphones, nous devenons tous des consommateurs-spectateurs compulsifs. Nous conservons des droits et des libertés, mais ne savons plus les exercer. Faute de temps, faute de réflexion. L’émotion l’emporte sur la raison. La dramatisation et la distraction perpétuelle semblent triompher partout. Dès lors, la posture de « victime » laisse grande ouverte la porte de tous les extrémismes et de toutes les idées déviantes, y compris conspirationnistes. CQFD 🙂

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s