Pourquoi n’y a-t-il pas une route de la Soie ?

Il existerait, dans notre inconscient collectif, une route reliant l’Europe à l’Asie. Une route à double sens, une route qui attire le voyageur intrépide mais qui fait, avouons-le, un peu peur… Il existerait bien un passage historique, emprunté par un incroyable aventurier, diplomate et conteur, un dénommé Marco Polo. Une voie royale pour le commerce de la soie et des épices. L’affaire est connue. Mais est-ce à dire qu’il n’y eut qu’un seul chemin vers l’Orient ?

Si l’on se réfère au tronçon situé en Asie Centrale, il y aurait une voie qui jadis donna aux Chinois le moyen de contenir la poussée des Huns. Dans une transaction particulière, leur précieuse soie en contrepartie de chevaux célestes, de race « argamak », réputée très rapide. On la trouvait jadis dans la région de Fergana (ou Ferghana), aujourd’hui en Ouzbékistan, non loin du Pamir Alaï.

Mais comme toujours, la réalité est plus complexe que cela. Comme l’évoque Alfred de Montesquiou, qui a sillonné les 12 000 kilomètres séparant Venise de l’Extrême Orient pendant huit mois, il n’y a pas une seule route de la Soie. Tout d’abord l’appellation « route de la Soie » ne date que du XIXème siècle. C’est l’oncle du « Baron Rouge », le géographe Ferdinand von Richthofen, qui en détiendrait la formule originelle. Mais cette voie de légende aurait pu s’appeler tout autrement. Et au-delà du commerce, nous voilà partis sur une route des idées, une route spirituelle entre Orient et Occident. Un axe de dialogue, riche et tortueux. En fait, une route impossible !

Impossible par sa longueur (12 000 kilomètres, donc, en moyenne !) Impossible par la rudesse de son climat (80 degrés d’amplitude thermique) et par son relief (cols escarpés du Tian Shan ou de l’Himalaya) et ses déserts… Impossible route de par la multiplicité des langues et des dialectes rencontrés tout au long du chemin. Même si le turc, le russe et le chinois peuvent souvent vous sauver la mise…

Il n’y a pas une route de la Soie, car on peut difficilement résumer deux millénaires (a minima) d’échanges terrestres en un seul chemin, un seul tracé. Cette route s’est parfois perdue, par certains de ses « itinéraires bis », au gré de la fin de certains empires, au gré du mouvement de peuples nomades plus ou moins belliqueux. Des contournements, des changements de cap se sont manifestés aussi au gré des changements de valeur commerciale de telle ou telle ressource, fut-elle minérale, végétale (les épices, notamment) ou animale (dont ces fameux chevaux tant désirés par l’Empire du Milieu).

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Les routes de la Soie, vues de Khiva (Ouzbékistan)

La route de la Soie est en fait un réseau de voies de communication entre deux continents, via une multitude d’états. Certains états se montrent aujourd’hui particulièrement ouverts aux flux de personnes et de marchandises. D’autres demeurent plus réticents et le font voir aux passants. C’est qu’il faut vivre avec la réalité du trafic de drogues d’une part, et avec la menace terroriste d’autre part. Et puis, par endroits, il y a ce passé soviétique qui semble donner encore de l’importance à des métiers que nous autres occidentaux pourrions croire, à tort, révolus. Comme celui de garde-frontière ! Ainsi certaines frontières sont-elles compliquées à franchir, le long d’une des routes de la Soie, tant au plan du relief qu’au plan administratif.

En Ouzbékistan, les formalités vont en s’améliorant, et les autorités locales, avec leurs voisins, auraient désormais la volonté de s’ouvrir au tourisme, et donc de faciliter la libre circulation des personnes. En Chine, le projet Yi dai – Yi lu (« One belt, one road », une « nouvelle route de la Soie ») a déjà fait couler beaucoup d’encre. On peut comprendre un certain malaise, chez les Européens et, surtout, les Américains. Car au-delà de cette curiosité touristique que constituent les routes de la Soie, au plan géopolitique, il n’y a plus trop de doutes quant à la volonté de pays tels que la Turquie, la Russie et la Chine de resserrer les liens eurasiatiques. Un nouveau pied-de-nez à l’Occident. Un geste symbolique de plus pour montrer la volonté de leadership mondial, tant économique que politique, du côté de Pékin.

Mais la « nouvelle route de la Soie« , et ses milliards de yuans, n’enlèvera rien à la légende. Elle ne viendra pas, malgré ses constructions pharaoniques, ses ponts et tunnels d’altitude, ses voies ferrées et autres infrastructures modernes, remplacer les routes du passé. Au mieux, cette modernisation, dans une nouvelle définition de la mondialisation, rapprochera un peu plus les peuples d’Orient et d’Occident. Et comme chaque fois, ce sera pour le meilleur et pour le pire !

Laurent

Une réflexion sur “Pourquoi n’y a-t-il pas une route de la Soie ?

  1. Encore une fois j’apprends quelque chose Laurent 😀
    Sais tu que l’un des slogans qui font la publicité de notre chère compagnie PKP est « PKP participe à la création de la nouvelle route de la soie »??? J’ai vu de mes propres yeux!!

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