Le vertige du coach

Coaching. Ce mot qu’on ne veut plus traduire. Coacher ou entraîner ? Coacher ou encadrer ? Coacher ou diriger ? Au fond l’activité de l’accompagnant, de l’entraîneur, de l’homme ou de la femme de l’ombre est une activité peu ordinaire. Et pour paraphraser Oscar Wilde, le couple (composé de l’entraîneur et de son futur champion) c’est ne faire qu’un, oui mais lequel ? Fusion nécessaire ou bien fusion destructrice ?

Coacher c’est vivre par procuration. C’est devenir fatalement spectateur de la vie des autres. Comme cet acteur qui arrête de jouer. Qui devient metteur en scène, tributaire de ses acteurs qui ne le remplaceront jamais totalement. Comme ce parent qui marque un temps d’arrêt et préfère observer, spectateur de la vie de ses oisillons quittant le nid.

Or vivre par procuration, ce n’est pas une vie ! Un cauchemar ? Être en permanence tiraillé entre d’une part l’expertise et le sentiment de toute-puissance que cela peur procurer, et d’autre part la sagesse, l’humilité, voire l’impression de vide, de futilité. Tiraillé entre une modeste obligation de moyens et la tentation du résultat, cet hubris qui rend obligé, condamné à la réussite de notre champion ! Une vie minable, dans l’ombre du vrai spectacle. Enfermé dans les coulisses, seul horizon ?

Puissance ou impuissance ? Dans une vision perfectionniste, le coaching n’est pas une sinécure. L’accompagnateur ne sera jamais totalement satisfait. S’il n’en fait pas assez et que l’accompagné échoue, il en voudra autant à l’autre qu’il ne s’en voudra à lui-même. Il aurait dû savoir, il pense que pour tout échec il aurait pu savoir, anticiper, éviter l’embûche ! Et si d’aventure l’accompagné triomphe, qui dit que le coach ne sentira pas ce malaise subtil, lié à l’impression d’avoir été tyrannique, d’avoir enfermé l’accompagné dans une prison dorée ?

Puissance ou impuissance ? Le coaching, cette tranche de vie par procuration, ce contrat bipartite à durée forcément déterminée, peut aussi décevoir. Si les termes du contrat restent flous, si l’implication reste inégale, que l’accompagnant ou l’accompagné ne jouent pas autant le jeu que ce qui semble attendu, alors on risque de se sentir floué, trompé.

Quid de la pression ? Le déséquilibre est palpable. L’un est objet de pression (la coach), entre le coach toujours prompt à mettre la pression, et le compétiteur, seul face à la somme de toutes les pressions (la sienne, celle de son entourage voire du public, celle des enjeux au centre desquels lui seul se trouve !)

Qui des deux est le plus ambitieux : l’accompagnant ou l’accompagné ? Le coach ou le compétiteur ? En mission par procuration, délégant la performance à son poulain, le coach vit une autre vie, celle qu’il n’a plus (tel l’ancien sportif devenu entraîneur, ou l’ancien manager devenu coach de cadres dirigeants). Et si sa nouvelle vie, faite de projection, d’objectifs et de moyens, de technique et de méthode, d’abnégation et d’entraînements sans fin, n’était qu’un rêve, un fantasme de puissance ?

Mais comment faire confiance ? Dans cette course folle à la compétition, au dépassement de l’autre via le dépassement de soi-même (voire l’effacement de soi, de l’ego du coach au bénéfice de l’accompagné), le vide n’est jamais loin. Le vertige d’une fuite en avant, d’une surenchère permanente voire d’une forme de harcèlement ? Le coaching ressemble parfois à un road trip pied au plancher, sur des routes sinueuses, à travers des paysages accidentés. Qui pilote l’engin ? Qui est le co-pilote ? On ne sait jamais. Mais c’est ça aussi le coaching : un souffle, une aventure vertigineuse. Une piste salée, haute en couleurs et en émotions, dans un cadre grandiose. Un voyage !

Laurent

Une réflexion sur “Le vertige du coach

  1. Épineuse et vertigineuse question ! On peut être coach de tout pour tous ! La société serait-elle devenue si complexe qu’il faut être deux pour naviguer ? Où est-ce un prélude à cette fameuse intelligence collective qu’on nous promet pour l’ère à venir ? Une ère du collectif !

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