Suivant le diction « small is beautiful », le peuple Ecossais va peut-être se laisser tenter par le « downsizing », souhaitant réaffirmer son identité locale, porté par une plus grande confiance en soi et une défiance pour les grands ensembles. Velléité d’indépendance politique et économique qu’il ne faudrait pas prendre pour un message d’animosité envoyé aux voisins Anglais ou Gallois, malgré certaines formules populistes, racoleuses et agressives. Qu’on pardonne quelques écarts sur la forme, depuis le temps que cela titillait l’Ecosse…
Mais l’Ecosse n’est pas un cas à part. La Catalogne aussi attend, plus ou moins patiemment, son tour. Réaction locale aux excès d’un monde « globalisé » ? Pulsion égoïste, désolidarisation en période de récession ? Ou, plus subtilement, défiance populaire envers tous ces « machins » (comme dirait De Gaulle) tous plus gros les uns que les autres, tous plus incontrôlables : FMI, OMC, ONU, UE… A y regarder de près, les petites entreprises ou les petits états sont-ils fatalement, sur le temps long, des handicapés de la réussite économique et sociale ? Quel est le point commun entre le pouvoir d’un Staline, d’un Mao ou d’un chef de la Fed ou de l’UE ? D’avoir en tête cette idée fixe d’un pouvoir centralisateur fort qui arriverait à imposer ses vues à l’ensemble des acteurs économiques et à la société plus largement. A grand renfort de propagande et de discours sur la grandeur de la nation. Le Mur de Berlin est tombé mais la violence du pouvoir central
(concentré, peu partagé) est restée intacte, elle a juste changé de forme.
Et pourtant, la sagesse populaire, garante de la démocratie, n’a pas abandonné la course, malgré les grandes transformations des dernières décennies. L’intelligence collective est à portée de main. Elle peut servir de nobles causes comme la liberté, la santé et le bien-être des individus, des communautés locales. En redonnant du sens et en mobilisant.
En Ecosse, quelle que soit l’issue du vote, nous aurons assisté à un regain de courage politique local, à un projet collectif. La campagne pour le « Yes » aura semble-t-il été enthousiaste à l’inverse de celle du « No », peut-être trop sûre d’elle ? Que ce soit en Espagne ou au Royaume-Uni, nous voyons également un fossé qui, comme chez nous aussi, n’arrête pas de se creuser. D’un côté la société civile qui réfléchit et expérimente. De l’autre une certaine caste économico-politique qui croit encore « avoir la main », à Madrid ou à Londres. Sa majesté la City « avertit » les Ecossais, par ft.com interposé, du terrible risque économique qu’engendrerait un « Yes ». Annus horibilis en perspective à Edimbourg ou à Glasgow ?
Les conservateurs d’Albion, fidèles à leurs valeurs, fourbissent toutes leurs armes et usent de beaucoup de voix pour tenter d’éteindre l’incendie du oui. Mais savent-ils au juste où se trouve l’extincteur ?
Pendant ce temps, loin du tumulte médiatique, un peu partout en Grande-Bretagne, foisonnent des projets dits « de transition » (mouvement né en Angleterre des « transition towns« ), des initiatives locales qui recollent les morceaux d’une société de zombies consuméristes. Chez ces idéalistes-là, point d’inquiétude pour demain, pour le résultat des courses référendaires…puisque demain est déjà là, déjà mis en mouvement !
A l’opposé de cette force centripète (qui nous ramène vers le centre, vers soi), les forces centrifuges, héritées du XXème siècle, nous écartèlent ! Elles sont puissamment installées et bien structurées, du moins pour le moment. Ces forces restent à l’oeuvre comme nous le prouve sans cesse les succès et les dérapages de la finance globale, activité humaine au dessus des lois la plus mondialisée qui soit, loin, très loin devant la toile mondiale d’Internet. Ces forces centrifuges, qui nous éloignent en fait de nous-mêmes, s’appellent au choix :
– assistanat (forme moderne d’aliénation tout à fait légale), qui déresponsabilise et qui désocialise, et voudrait hypnotiser les masses avec cette formule : « dormez tranquille »… et restez devant votre téléviseur !
– libre-échange : pas celui, bien policé, des bouquins d’éco ou de Ricardo (disciple de l’Ecossais Adam Smith)… non, l’actuel, le décomplexé, avec son lot d’externalités négatives (le voilà le gros mot !), de concurrence déloyale au plan social, sanitaire et environnemental. Celui-ci nous qui nous aliène à petit feu, de crises en crises, surprotégeant l’entreprise (surtout la multinationale, bien éloignée des contingences locales donc humaines) et affaiblissant volontairement, dans ses délires de « toute puissance », les pouvoirs publics locaux.
– dérégulation chère à tonton Milton et à Maggie (ou depuis quand le « laisser-faire » alias « no limit » serait un modèle vertueux pour la société humaine ?) avec son lot chronique de bugs mais, nous promettent toujours ses défenseurs, tels des informaticiens scrupuleux : « ne vous inquiétez pas, on va améliorer le software, la prochaine version arrive… »
– pour les plus courageux, le nec plus ultra « centrifugé », les bien curieux accords dits « de libre-échange » non pas ceux de l’OMC du temps du multilatéralisme poussif, mais les nouveaux accords bipartites (Amérique-Chine, Amérique-Europe). Ras-le-bol de l’OMC, trop lente, trop bloquée (la faute aux BRICS paraît-il). Voici les accords bipartites, dotés de l’arme fatale juridique : l’arbitrage privé… le sujet qui fâche les officiels (ceux qui, officiellement du moins, représentent l’intérêt général). Accords décidés par qui et pour quoi faire ? Chut ! Des accords en cours de signature, mais puisqu’on nous dit que cela doit rester secret !
Bon vote, et bon vent aux Ecossais, avec ou sans le Royaume-Uni.
Lire aussi :
http://www.courrierinternational.com/article/2014/09/17/pourquoi-le-oui-finira-bien-par-l-emporter
Ne risque t’il pas d’y avoir contagion avec l’Irlande du Nord qui revendiquerait aussi son rattachement au Sud et qui viendrait achever la fin de l’Empire Britannique.Dans le dossier écossais ,il semblerait que des enjeux énergétiques ,à savoir du pétrole sur les cotes de l’Ecosse ,viennent susciter les appétits.Que les écossais souhaitent leur indépendance ,certes ,mais auraient ils eu la meme envie d’indépendance ?
L’enjeu énergétique est important, tant sa prise de conscience s’est développée un peu partout dans le monde après les conflits liés au pétrole, après la découverte de la problématique du réchauffement climatique et après plusieurs accidents nucléaires civils et quelques frayeurs dans le militaire. Économiquement, à l’heure où les Américains plastronnent au sujet de leur indépendance énergétique,
leur « shale gas revolution » selon le Financial Times et consorts, la confiance en soi écossaise est à son tour redynamisée. L’image persistante du « pauvre voisin » au Nord du Nord de l’Angleterre, industriellement sinistré, s’est peu à peu éloignée des esprits.
A cela s’ajoute vraisemblablement la frustration d’un peuple à préférence travailliste mais de fait gouverné de manière centralisée (à quelques exceptions près) par une majorité (du fait du vote anglais) conservatrice. Et une vision européenne assez différente de celle de Londres !
Aujourd’hui les Ecossais saisiront cette chance ou resterons attachés à l’Union tricentenaire, pour quelques années de plus… Et si d’aventure le « Yes » dans quelques heures passait, nous aurions la preuve flagrante que le leadership politique local existe encore !